À dix jours du second tour, de nombreuses questions et incertitudes subsistent à propos des élections municipales. Entre-deux-tours à rallonge, abstention, campagne à distance… Tour d’horizon d’un scrutin perturbé par la crise sanitaire, qu’Emmanuel Macron traîne comme un « boulet ».
C’est une élection qui ne ressemble à aucune autre. Une élection percutée par une pandémie mondiale, qui a un temps mis sous cloche tous les sujets et bousculé l’ensemble des calendriers politiques. Ce qui devait constituer un test pour le parti présidentiel, lui permettant de mesurer sa capacité à s’enraciner localement après le « séisme politique » de 2017, s’est transformé en un « boulet » – dixit un ministre – dont Emmanuel Macron a cherché à se débarrasser au plus vite.
En maintenant le premier tour des municipales le 15 mars, alors que les écoles, les cafés et les restaurants étaient déjà fermés, et que des voix plaidaient pour un report, le pouvoir a scellé le sort du scrutin. Le résultat : une abstention massive – moins de 45 % des électeurs inscrits se sont déplacés –, la colère d’élus et militants atteints par le Covid-19, et l’inquiétude d’avoir participé à une élection « criminelle ».
Il reste que plus de 20 millions de personnes se sont déplacées aux urnes. Dans 30 048 communes, leur vote a permis de reconduire ou d’élire de nouveaux conseils municipaux. Le contexte sanitaire ayant rendu possible l’organisation du second tour dans les 4 922 communes restantes, ce dernier a été repoussé au 28 juin. Les listes qui s’y affronteront ont finalement eu jusqu’au 2 juin pour être déposées.
Le Conseil constitutionnel a validé ce calendrier en estimant, dans sa décision rendue publique mercredi 17 juin, que « le report du second tour des élections municipales au plus tard en juin 2020 ne méconnaît ni le droit de suffrage, ni le principe de sincérité du scrutin, ni celui d’égalité devant le suffrage ».
En dépit de ces allures de grand ratage, le premier tour de scrutin n’a pas été sans enseignements. L’épidémie n’est pas seule en cause dans la baisse de la participation, tendancielle depuis plusieurs décennies. Sa saturation de l’espace médiatique n’a pas empêché non plus que prédominent des enjeux locaux dans le choix des électeurs. Ce phénomène a plutôt conforté les élus en place, là où leur bilan était apprécié par leurs administrés.
Dans les grandes villes, le Rassemblement national (RN) l’a payé par un recul sévère de ses suffrages, que n’ont pas compensé les bons scores de ses sortants. Si la gauche est restée stable par rapport à 2014, le rapport de forces interne a évolué en faveur d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), dont les listes ont connu une poussée inédite à ce type de scrutin. La droite, grande gagnante du scrutin de 2014, a quant à elle légèrement reculé.
La stratégie de La République en marche (LREM) de brouiller les cartes en investissant ou en soutenant des listes d’union – la plupart du temps avec la droite LR – a permis au parti présidentiel d’obtenir des scores non négligeables en certains endroits. Mais les résultats obtenus sont cependant loin de ceux qu’on pourrait attendre d’une force majoritaire, présidant aux destinées du pays.
Les scores du 15 mars résume l’électoraliste Pierre Martin dans Commentaire, ont ainsi traduit et généré une double illusion : « Illusion du pouvoir, croyant au transfert de ses résultats aux élections nationales sur des élections locales, […], illusion également des anciens partis de pouvoir, qui interprètent à tort leur résistance à ces municipales comme un possible retour en grâce à des élections nationales. »
Les alliances de l’entre-deux-tours sont venues confirmer l’orientation du parti présidentiel, bien souvent incapable de fusionner avec des listes de gauche – ce fut le cas dans seulement 13,6 % des cas, selon le décompte des « Décodeurs » du Monde. « Comme on n’a pas envoyé beaucoup de signaux à la gauche depuis trois ans, on a eu du mal à s’acheter ne serait-ce qu’une discussion », reconnaît un député de la majorité.
« La recomposition de la gauche est en train de se faire sans nous et elle emporte une partie de nos électeurs », pointe encore cet élu LREM, qui y voit un très mauvais présage pour les futures échéances électorales, à commencer par la présidentielle de 2022. Dans plusieurs grandes villes, dont Paris, Rennes et Nantes, les écologistes et les socialistes ont effectivement fait alliance pour le second tour, laissant les marcheurs se débrouiller avec la droite.
À dix jours de son organisation, de nombreuses questions et incertitudes subsistent à propos d’un scrutin qui s’annonce à nouveau atypique. Certaines sont pendantes depuis le mois de mars, s’agissant notamment de la légitimité des édiles parvenus au pouvoir dans des conditions aussi dégradées. D’autres ont émergé plus récemment, dans un entre-deux-tours exceptionnellement long qui a forcément eu des effets. Tour d’horizon.
- La longueur de l’entre-deux-tours
Dès lors que l’exécutif avait décidé d’annuler le second tour des municipales initialement prévu le 22 mars, la question de son report s’est posée. Celui-ci devait-il concerner l’ensemble des opérations électorales ou seulement celles qui n’avaient pas pu se dérouler, en conservant les résultats du premier tour ? Selon plusieurs juristes contactés par Mediapart à l’époque, rien dans la Constitution ne s’opposait strictement à cette deuxième éventualité, finalement choisie par l’exécutif, en accord avec le reste des forces politiques.
Pour le professeur en droit public Romain Rambaud, spécialisé en droit électoral, un tel choix permettait à la fois de ne pas s’asseoir sur les votes exprimés par des millions d’électeurs le 15 mars, tout en reflétant un relatif consensus politique, précieux dans une situation hors norme. Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, se disait quant à lui choqué de la désarticulation temporelle d’un scrutin municipal pensé comme « un bloc », avec seulement 48 heures de négociations possibles entre les listes restées en lice ou ayant le droit de fusionner.
De fait, cet entre-deux-tours à rallonge a pu altérer des comportements et des décisions au niveau de l’offre politique. À Montpellier, par exemple, le premier réflexe de l’écologiste dissidente Clothilde Ollier fut d’appeler à voter pour le candidat en tête des oppositions de gauche, le socialiste Michaël Delafosse. Aujourd’hui, pourtant, elle se retrouve avec l’humoriste Rémi Gaillard et la municipaliste Alenka Doulain dans un accord-surprise avec l’homme d’affaires Mohed Altrad, destiné à barrer la route de la mairie au même Delafosse.
On peut aussi se demander si, à Lyon, Gérard Collomb aurait eu le temps de négocier l’accord avec LR qui lui a valu le retrait de l’investiture LREM. Ce qui est sûr, c’est que lorsque les deux tours sont rapprochés d’une semaine, la probabilité d’événements perturbateurs de la campagne est réduite. Cette fois, en trois mois, les Français auront vécu le déploiement d’une pandémie mondiale, les débuts d’un choc social massif, une gestion chaotique de la crise sanitaire, et un déconfinement progressif, rempli d’inconnues.
Quelle qu’en soit l’incidence finale, le contexte de leur choix électoral a donc fortement évolué, plus que pour n’importe quel autre type de scrutin comparable. Les discours des candidats, et a fortiori leurs programmes, ont d’ailleurs été fortement adaptés aux crises sanitaires et sociales.
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