Financement du RN: la justice sanctionne ses stratagèmes pour «tromper l’Etat»
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Le tribunal a écarté les soupçons de surfacturation des kits de campagne, mais condamne l’équipe du microparti de Marine Le Pen, et son prestataire Frédéric Chatillon pour « escroquerie ». Il condamne aussi le RN pour « recel d’abus de biens sociaux ».
Logiquement, la « machine à cash » de Marine Le Pen ne devrait plus fonctionner avant longtemps. Le tribunal correctionnel a condamné, mardi 16 juin, les responsables de Jeanne, le microparti de la présidente du RN, et le trésorier du Rassemblement national, Wallerand de Saint-Just, à des peines d’emprisonnement avec sursis.
Le prestataire de communication du RN, Frédéric Chatillon, patron de l’agence Riwal et proche de Marine Le Pen, dont le tribunal a souligné le « rôle décisif », est condamné à 30 mois d’emprisonnement, dont 20 mois avec sursis.
Ce premier procès des finances du RN a montré une nouvelle fois que les astuces ne manquent pas pour contourner les lois de financement des partis, même si le mouvement d’extrême droite s’en défend. Si le tribunal n’a pas retenu la « surfacturation des kits de campagne » après avoir examiné les tarifs des imprimeurs, il a condamné « l’escroquerie » consistant à offrir des « prêts fictifs » à ses candidats. Un système astucieux de cavalerie qui reposait sur le fait que le fournisseur ne réclame pas d’argent à l’association de financement avant qu’elle n’ait été remboursée. Mais faire crédit au parti équivaut à un don de personne morale interdit par la loi.
![Wallerand De Saint-Just Et Frédéric Chatillon Au Tribunal Correctionnel De Paris, Le 7 Novembre 2019. © Mediapart / Kl Wallerand De Saint-Just Et Frédéric Chatillon Au Tribunal Correctionnel De Paris, Le 7 Novembre 2019. © Mediapart / Kl](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2019/11/09/chatillon2.jpg?width=5472&height=3648&width_format=pixel&height_format=pixel)
À travers l’association Jeanne, c’est un élément central du financement du RN et de l’activité politique de Marine le Pen qui se trouve ainsi épinglé pour « escroquerie » par le tribunal. Le microparti est devenu en 2012, avec 9,6 millions d’euros de rentrées financières, la quatrième formation politique la mieux dotée (devant… le Front national lui-même). Il a lui aussi prêté aux candidats – plus de 7,4 millions d’euros aux candidats frontistes en 2015, par exemple.
Lors de la lecture de son délibéré, la présidente Rose-Marie Hunault a averti que ces « relations délictueuses » entre un parti et ses fournisseurs « portaient atteinte à la confiance des citoyens dans les partis politiques », et plus largement « au fonctionnement de la démocratie ».
Pourtant condamné à six mois de prison avec sursis, Wallerand de Saint-Just est apparu détendu, et soulagé, devant la presse. « La montagne a un peu accouché d’une souris », a-t-il déclaré, en se félicitant que le tribunal ait complètement écarté la demande de dommages et intérêts de l’avocat de l’État, qui avait réclamé la somme de 11 millions d’euros au RN. Au lieu de quoi, le tribunal a effectivement condamné le RN à 18 750 euros d’amende.
![Marine Le Pen, Mardi 16 Juin 2020, À Dijon. © Philippe Desmazes / Afp Marine Le Pen, Mardi 16 Juin 2020, À Dijon. © Philippe Desmazes / Afp](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2020/06/16/000-1tj9g6.jpg?width=3396&height=2264&width_format=pixel&height_format=pixel)
Le RN a diffusé mardi après-midi un communiqué triomphaliste, saluant la décision judiciaire « qui sonne comme une victoire pour le Rassemblement national », et qui mettrait, selon lui, « un terme aux accusations gravissimes largement relayées par les médias depuis de nombreuses années », en écartant les soupçons de surfacturation.
Mais les condamnés, anciens compères du Groupe union défense (GUD) au début des années 1990, ont quitté les lieux rapidement, en rangs serrés. Absent au délibéré, leur chef, Frédéric Chatillon, avait fait savoir « qu’il n’avait pas pu trouver d’avion pour venir d’Italie », où il réside. Sa compagne, Sighild Blanc, également condamnée, n’était pas venue aux audiences. Un seul membre du groupe échappe aux condamnations : Axel Loustau, conseiller régional RN et trésorier de Jeanne, dont le tribunal a estimé que les preuves manquaient pour déterminer sa participation au montage des prêts fictifs.
Le secrétaire général du microparti Jeanne, le député européen Jean-François Jalkh, écope en revanche de deux ans d’emprisonnement, dont 18 mois avec sursis. La présidente du tribunal a précisé que l’élu pourra purger ses six mois ferme à son domicile, sous surveillance électronique. Elle a souligné son « rôle central » dans « la mise en place des prêts fictifs » et « dans la conception du système visant à tromper l’État français ».
« Le tribunal a considéré que les prêts accordés aux candidats étaient fictifs », résume la présidente, et qu’ils avaient « pour but » de « tromper l’État ». Et le préjudice tient dans le remboursement par l’État des intérêts, eux aussi fictifs. « Les candidats n’avaient pas les moyens d’emprunter, poursuit-elle. Leur compte bancaire était crédité du prix du kit de campagne et des intérêts qu’ils devaient payer. » La « mécanique de prêt » reposait sur le fait que le fournisseur, Riwal, faisait crédit. « Le montage avait pour but de contourner les règles de financement », conclut Rose-Marie Hunault.
Mais le « véritable référent de ce système de prêt » était Frédéric Chatillon, le fournisseur : « M. Chatillon était en première ligne dans la mise en œuvre des prêts fictifs, il suivait les remboursements, et relançait les candidats. »
![Frédéric Chatillon. © Compte Twitter De F. Chatillon Frédéric Chatillon. © Compte Twitter De F. Chatillon](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2019/11/06/capture-d-e-cran-2019-11-02-a-20-52-59.png?width=140&height=197&width_format=pixel&height_format=pixel)
Condamné pour « escroquerie », ce dernier l’est aussi pour « abus de biens sociaux ». Le patron de Riwal a en effet accordé durant trois ans un crédit fournisseur allant de 7 à 8 millions d’euros au microparti Jeanne, représentant jusqu’à 60 % de son chiffre d’affaires. Il a d’ailleurs reconnu à l’audience avoir pris un risque « colossal ». « Ce crédit fournisseur participait au délit du prêt fictif, résume la présidente, et constituait une infraction à la loi de 1988 [de financement des partis politiques – ndlr]. » Le tribunal relève qu’en dépit de sa mise en examen en avril 2015, Frédéric Chatillon a maintenu son soutien financier à Jeanne durant l’année 2015.
L’ancien trésorier adjoint du microparti, Olivier Duguet, ancien du GUD lui aussi, est reconnu coupable de « complicité d’escroquerie ». Il écope de douze mois d’emprisonnement, assortis d’un sursis probatoire de deux ans et d’une interdiction de gérer de cinq ans, étant donné « sa personnalité » et « son parcours ». La présidente a rappelé sa condamnation précédente pour escroquerie (que Mediapart avait révélée en 2014).
Les motivations de Frédéric Chatillon ont été soupesées. L’ancien chef du GUD avait dit à l’audience être « tombé dans la marmite politique il y a 20 ou 30 ans », et il avait évoqué sa relation ancienne avec le Front national, son amitié « avec plein de gens au Front ».
Son rôle dans l’affaire est « décisif » car s’il n’avait pas mis à disposition de l’association Jeanne et du Front national la trésorerie de sa société, « ces faits n’auraient pas été possibles », souligne le jugement.
« L’octroi du crédit fournisseur ayant permis à l’association Jeanne de financer les kits avait aussi pour but de cultiver les affinités personnelles de Frédéric Chatillon », résume la présidente Hunault. Riwal avait aussi mis à disposition du microparti deux de ses salariées.
Il était logique que le patron de Riwal commette quelques « abus de biens sociaux » au bénéfice du Rassemblement national. Ce sont ces « abus » qui justifient la condamnation de Wallerand de Saint-Just. Chatillon avait consenti au RN un encours de dette permanent – un crédit fournisseur qui a atteint 9 420 000 euros en 2013 –, au titre de son « entente cordiale » avec les dirigeants du parti. Il est ressorti des mails saisis par la justice « qu’il avait un rôle politique au sein du FN », qu’il pouvait « intervenir auprès de Marine Le Pen », et aussi qu’il avait « cherché à obtenir un prêt de 10 millions d’euros auprès d’amis italiens ».
Wallerand de Saint-Just, trésorier du RN, avait lui-même sollicité le crédit fournisseur auprès de Chatillon. Il était aussi « nécessairement informé » de l’embauche par Riwal de deux cadres du parti : David Rachline, actuel sénateur et maire de Fréjus, et Nicolas Bay, ex-vice-président du parti et eurodéputé.
Or, rappelle la présidente, les pièces saisies « n’avaient pas permis de montrer que David Rachline avait exercé une activité chez Riwal ». Quant à l’emploi de concepteur-rédacteur de Nicolas Bay, il ne « correspondait pas aux missions que Riwal s’était vu confier par le microparti Jeanne ». Mieux, un mail de Frédéric Chatillon démontrait que cette opération était en réalité « une avance de trésorerie au FN ». Ce que ne pouvait ignorer Wallerand de Saint-Just. « Les embauches n’avaient pu être décidées qu’en collaboration avec le trésorier », résume la présidente.
Le trésorier ne pouvait ignorer non plus le montage compliqué faisant intervenir une société de paille pour vendre des polycopieurs au FN, un élément supplémentaire retenu contre Chatillon et Wallerand de Saint-Just, dont l’intention délictueuse est démontrée.
Le tribunal s’était penché en détail sur l’évaporation des bénéfices du groupe Riwal, notamment lors des versements sur le compte d’une société achetée à Hong Kong, Time Dragon, propriété d’une offshore basée aux îles Vierges britanniques. « Les fonds ont suivi un circuit à travers les comptes bancaires de cinq sociétés et trois pays, résume la présidente. Frédéric Chatillon a été le véritable commanditaire de l’opération. »
Le tribunal estime que l’abus de biens sociaux lui a « permis de retirer, directement ou indirectement, un bénéfice personnel » qui « peut être évalué à près de 500 000 euros ». Il estime aussi que, dans le but « de dissimuler ses agissements », « il s’est rendu coupable de faux et usage de faux et de blanchiment en transférant des fonds sur des comptes à l’étranger ».
« La gravité et le nombre d’infractions » que ce proche de Marine Le Pen a commises « sur plusieurs années », ainsi que « sa détermination dans la commission des faits et son attitude de déni au cours de la procédure judiciaire » justifient, selon le tribunal, une peine de 30 mois d’emprisonnement, dont dix mois fermes, ainsi qu’une amende de 250 000 euros. Il purgera sa peine en Italie, où il réside, en vertu des accords de l’Union européenne. Il écope d’une peine de cinq ans d’interdiction de gérer, assortie du sursis.
Sa compagne, Sighild Blanc, devenue prestataire de Jeanne et de Riwal via sa société Unanime, a facturé des sommes importantes, sans justification réelle. Elle est condamnée à 12 mois de prison avec sursis, à 100 000 euros d’amende et à une interdiction de gérer pendant cinq ans.
Épinglé pour son rôle dans les faits d’escroquerie, d’abus de biens sociaux et blanchiment, l’expert-comptable attitré du RN, Nicolas Crochet, a été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à une interdiction d’exercer son activité professionnelle pendant trois ans. Le tribunal souligne son « implication d’autant plus grave » qu’elle manifeste « la confusion entre ses relations amicales, militantes et professionnelles ».
L’association Jeanne est condamnée en tant que personne morale à une amende de 300 000 euros, dont 150 000 avec sursis. Les prévenus ont aussi été condamnés à payer solidairement des dommages et intérêts à l’État français. Le tribunal condamne ainsi Frédéric Chatillon, Olivier Duguet, Nicolas Crochet, Jean-François Jalkh à payer solidairement 359 671 euros au titre des élections législatives 2012. Et Jean-François Jalkh et l’association Jeanne à payer 513 880 euros au titre des départementales 2015.
Le parti, pour l’instant, n’a pas indiqué s’il ferait appel de cette décision.
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