Avant, cela allait de soi : on le passait avec grands-parents, parents, frères et soeurs. La recomposition, les bouleversements sociétaux, la solitude ont redessiné la famille, ouvrant le champ des possibles.
Dans la catégorie des questions faussement anodines, « Tu fais quoi à Noël ? » a longtemps fait figure de championne. En guise de réponse, elle permettait d’obtenir toute la gamme des sourires du plus radieux au plus crispé , voire pas de sourire du tout, chez les phobiques du 24. Il s’est même trouvé un ostéopathe belge qui, las de voir somatiser ses patients à l’approche de la date fatidique, leur a consacré un ouvrage, « Les angoissés de Noël » (1). Les angoissés de Noël, c’était vous, moi, nous, en train de nous demander : famille ou belle-famille ? Le 24 ou le 25 ? Mais qui a les enfants ? Et mon nouveau copain (ou ma nouvelle copine ?), est-ce que j’ai le droit de l’emmener ? Et si je n’y allais pas, cette année ?
Comme le résume la psychanalyste Juliette Allais (2) : « Noël est un moment qui réaffirme l’appartenance à la famille. Pour un soir, on redevient l’enfant de ses parents, le fils ou la fille préféré/e, la sœur rivale, celle qui a réussi (ou pas), la divorcée… A la joie d’être ensemble se mêle la difficulté à rester soi-même dans un contexte ritualisé et normatif. D’autant plus que Noël se doit d’être une fête réussie, et que cette injonction est idéale pour créer du stress ! » A l’heure où les configurations sentimentales et parentales sont devenues de plus en plus complexes, les ingrédients paraissaient réunis pour que le réveillon se transforme en cauchemar. Mais c’était sans compter la créativité des Français, qui sont de plus en plus nombreux à fêter Noël à leur manière.
En famille nucléaire ou élargie incluant ceux qui ne font pas encore ou plus partie du clan familial , entre amis ou même seul, Noël est passé du statut de soirée monolithique à celui de raout tribal à géométrie très variable. Comme le résume le sociologue Jean Viard : « Même dans les familles conservatrices, où les grands-parents n’auraient jamais divorcé, on accueille désormais sans broncher l’ex-mari, le nouveau petit ami, voire la nouvelle petite amie, au réveillon. »
Noël n’est plus forcément une corvée
Plus éclatées, géographiquement comme sentimentalement, les familles décomposées, recomposées(3), « homoparentalisées(4) »… n’ont d’autre choix, si elles veulent se réunir, que de s’assouplir et ajouter un couvert en plus. Ce qui aurait pu fragiliser les liens familiaux (les naissances hors mariage, qui concernent aujourd’hui 57 % des enfants, les divorces…) a d’ailleurs en partie contribué à un renouveau de l’institution. « La famille d’aujourd’hui se caractérise par une ouverture d’esprit et une tolérance inimaginables il y a vingt ans. Voilà pourquoi Noël n’est plus forcément une corvée, pourquoi les déjeuners du dimanche redeviennent à la mode », poursuit le sociologue.
Au centre de cette famille réinventée, il y a évidemment les enfants, dont le bonheur est devenu un des principaux enjeux de la soirée, jadis plus centrée sur les adultes. Comme le résume une mère divorcée : « Il m’est arrivé de partir en voyage en décembre quand je n’avais pas mon fils. De fêter Noël seule avec lui, juste pour partager le plaisir du sapin, des cadeaux. Mais mon réveillon préféré, c’est celui passé avec mon ex-belle famille. Mateo était si heureux que ça méritait le sacrifice ! »
A l’inverse, ceux qui n’ont pas d’enfants (en général ou seulement ce soir-là) n’hésitent plus à sécher le rendez-vous familial du 24. « Ne pas venir à Noël constitue un acte d’affirmation de soi, explique Juliette Allais. C’est une façon de dire, à ses parents mais aussi à toute la société, qu’on ne se définit plus prioritairement comme le fils ou la fille de… » Mais cela n’implique plus forcément qu’on se fâche avec sa famille.
La soirée de Noël étant aujourd’hui bien plus centrée sur les enfants, les célibataires comme les divorcés (sans progéniture le 24) ont désormais le droit de partir au bout du monde sans risquer l’opprobre… ou de se réunir entre eux. Sandrine, 36 ans, a ainsi passé son dernier réveillon avec un groupe d’hommes et de femmes rencontrés sur le site internet Parent-Solo.fr. Et les Noël en bande d’amis séduisent un nombre croissant de citadins branchés, qui vivent souvent loin du cercle familial. Comme l’analyse Jean Viard : « On vit désormais en tribu, entouré de gens qui nous ressemblent. On part de plus en plus souvent en vacances entre amis, et on se met aussi à fêter Noël avec eux. »
Notons d’ailleurs que ces réveillons avec « notre famille de cœur » empruntent beaucoup au rituel. En effet, la plupart des copains réunis à Noël s’habillent pour l’occasion, mangent foie gras ou saumon, n’hésitent pas à s’offrir des cadeaux et même à convier à leur fête une âme esseulée, croisée deux heures plus tôt… Comme dans les familles bourgeoises où on gardait jadis, au cas où, une place (pour un « pauvre ») à la table. Preuve, s’il en fallait, qu’en dépit de tous ces bouleversements, le rite de Noël perdure.
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