Subventions publiques, dons privés… L’industrie pharmaceutique, qui sort renforcée de la crise sanitaire, se fait financer la recherche et la production d’un éventuel vaccin contre le Covid-19 sans réelles contreparties, tant il est attendu. Deux laboratoires ont franchi une première étape dans cette compétition mondiale, le 20 juillet.
La course internationale au vaccin contre le Covid-19 s’accélère. Dans le peloton de tête, le laboratoire britannico-suédois AstraZeneca et le chinois CanSino. Leurs projets ont produit une réponse immunitaire importante et démontré leur sûreté pour les patients, selon les résultats de deux essais cliniques préliminaires publiés le 20 juillet dans la revue scientifique The Lancet. Leur efficacité devra encore être établie lors de nouveaux tests avant d’envisager leur commercialisation à grande échelle.
Les grandes puissances avaient déjà avancé leurs pions pour s’assurer une part du gâteau du laboratoire AstraZeneca dont le projet de vaccin est issu des recherches de l’université d’Oxford. Après l’énorme pré-commande des États-Unis dès le mois de mai, « America first » oblige, une alliance incongrue et incomplète de pays européens s’est créée, reflétant l’incapacité de l’Union européenne à élaborer une stratégie commune.
Cette Alliance pour l’achat anticipé de vaccins Covid-19, composée de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et des Pays-Bas, a ainsi réservé 300 millions de doses pour un montant de 750 millions d’euros dès le 13 juin, avant même de savoir si le sérum passerait les tests de sécurité et serait efficace. Un pari dans tous les cas gagnant pour le laboratoire.
« Des discussions sont en cours avec d’autres laboratoires qui planchent sur des vaccins tels que Sanofi », indique le ministère de la santé à Mediapart. Alors, encore une fois, « merci Paul », comme Emmanuel Macron concluait son discours depuis le site de Sanofi à Marcy-l’Etoile (Rhône), le 16 juin ? Il remerciait ainsi Paul Hudson, PDG du fleuron tricolore d’investir 490 millions d’euros dans l’optique de créer un nouveau site de production et un centre de recherche dédiés aux vaccins dans le département d’ici 2025.
Le même Paul Hudson avait pourtant choqué la France un mois plus tôt en annonçant qu’il réserverait aux Américains ses premiers vaccins contre le Covid-19 fabriqués aux États-Unis. Et ce, en échange des centaines de millions d’euros versés par la Maison Blanche pour sa recherche.
Il lançait aussi : « Ne laissez pas l’Europe se laisser distancer », en invitant les gouvernements du vieux continent à réagir pour protéger leur population, puisque les espoirs de la communauté scientifique pour sortir de cette pandémie se concentrent essentiellement sur le développement d’un vaccin.
Il a été entendu. Ce même 16 juin, le gouvernement français annonçait débloquer 200 millions d’euros pour soutenir les industriels de la santé dans leurs capacités de production de vaccins, de traitements et de médicaments en tensions d’approvisionnement pendant la crise ainsi que la recherche et le développement (R&D) pour lutter contre le Covid-19.
« Ces multinationales accentuent la concurrence entre les pays en disant “les États-Unis ont donné tant, le médicament arrivera plus tard ailleurs”, déplore Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. Puisque ce chantage a fonctionné dans le contexte du Covid-19, à l’avenir, les firmes pourraient conditionner systématiquement à des subventions publiques leur positionnement sur certains marchés essentiels pour la santé mondiale. »
L’industrie pharmaceutique est l’une des rares à avoir bénéficié de cette crise sanitaire devenue économique. Au premier trimestre 2020, le chiffre d’affaires de Sanofi a augmenté de près de 7 %. Idem pour ses concurrents Novartis, Pfizer, GSK, Johnson&Johnson, Roche ou MSD, qui ont aussi vu leurs résultats gonflés par la crise.
Les ventes de l’anti-douleur Doliprane produit par Sanofi sont montées en flèche avec une croissance de 20 % : le paracétamol était recommandé en cas d’apparitions de symptômes du coronavirus. Malgré le contexte mondial morose, le laboratoire français augmente encore le montant des dividendes versés à ses actionnaires cette année : près de 4 milliards d’euros.
Pour autant, seulement neuf jours après la visite du président de la République, Sanofi a communiqué la suppression de 1 700 postes en Europe sur trois ans, dont un millier en France, et la fermeture du centre de recherche de Strasbourg. « Sanofi agit en toute impunité, c’est inadmissible, commente Jaume Vidal, conseiller politique à Health Action International, ONG qui milite pour l’accès aux traitements à tous. Aucun État ne veut de clash avec l’industrie pharmaceutique, elle est devenue toute-puissante. »
Les salariés l’ont mauvaise. Le 8 juillet, ils ont manifesté leur colère près de l’Assemblée nationale, à Paris. « Quand Emmanuel Macron termine son intervention en remerciant le PDG de Sanofi, on se demande franchement qui prend les décisions », peste Thierry Bodin, coordinateur CGT de la firme.
Il a beau avoir déjà connu 5 000 suppressions de postes en douze ans, Thierry Bodin tombe des nues. Au micro, il s’emporte : « L’argent public, donc nos impôts, finance les plans sociaux de Sanofi. » Chaque année, l’entreprise perçoit une centaine de millions d’euros de crédit d’impôt recherche, alors que les effectifs en R&D diminuent au fil des ans.
« Il n’est pas supportable que le gouvernement donne de l’argent à Sanofi sans contrepartie, sans interdire les suppressions d’emplois », surenchérit Éric Coquerel, député La France insoumise venu avec une poignée de parlementaires de gauche soutenir les manifestants.
Thierry Bodin dénonce aussi le fait que « l’équivalent de 40 années de dons au Téléthon ait été distribué aux actionnaires de Sanofi en une seule année, malgré le contexte ». D’autant que « le prétexte pour rémunérer les actionnaires, c’est de récompenser la prise de risque, or Sanofi n’en prend pas en externalisant la recherche », dénonce Marion Layssac, déléguée syndicale Sud Chimie et biologiste à Sanofi, qui a fait le déplacement spécialement depuis Montpellier.
Le troisième producteur mondial de vaccin a lancé deux projets dans cette compétition mondiale dans le but de se prémunir du Covid-19. Pour le premier, Sanofi s’est alliée avec le laboratoire GSK et le ministère de la santé américain. Le sérum sera fabriqué aux États-Unis et en Europe, notamment en France, en Allemagne et en Italie.
Pour son deuxième plan, Sanofi a noué un partenariat avec Translate Bio. Il s’agit d’une biotech américaine, c’est-à-dire une start-up spécialisée à la fois dans la science des êtres vivants et les nouvelles technologies. Ces nouveaux acteurs, petits poucets du secteur pharmaceutique, émergent depuis les années 1980. Les grands laboratoires ont de plus en plus tendance à déléguer le champ de la recherche fondamentale à ces petites structures spécialisées en R&D, avant de s’allier avec elles ou de les racheter quand elles trouvent des pistes fructueuses.
Dernier exemple en date, le laboratoire pharmaceutique américain MSD a finalisé son rachat en juin de la start-up autrichienne Themis Bioscience. C’est avec elle que l’Institut Pasteur s’était allié pour développer son propre vaccin contre le Covid-19 (lire aussi La France délaisse la course au vaccin contre le Covid-19).
« Il s’agit d’illustrations classiques des récentes stratégies des Big Pharma. Elles arrivent en bout de course, une fois que les recherches ont été réalisées en amont et que tout le risque a été absorbé par des biotechs », dénonce Pauline Londeix.
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