Vendredi 25 juin 2021, le Parlement sénégalais a adopté deux projets de lois portant sur le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la piraterie maritime. Des textes qui arrivent en renfort à un cadre législatif installé en 2016 dans un contexte régional d’intensification de la menace terroriste. Un texte contesté par l’opposition qui le qualifie de « liberticide », démontrant par là même qu’il ne l’est pas. Explications.
Le Sénégal partage de vastes frontières avec deux pays du G5 Sahel : la Mauritanie et le Mali. Ces deux pays sont confrontés depuis plusieurs années à une expansion rapide de la menace terroriste et du crime organisé. En mars 2016, la Côte d’Ivoire, un autre pays de la région ouest-africaine, qui compte parmi ses voisins deux membres du G5 (le Mali et le Burkina-Faso), a été frappée par une attaque terroriste, notamment dans la station balnéaire de Grand Bassam, qui a fait 22 morts dont 16 civils, 3 militaires et 3 terroristes. L’offensive a été revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb Islamique et deux suspects ont été arrêtés dans le nord du Mali. Depuis, la menace ne cesse de grimper hors G5 Sahel.
C’est dans ce contexte que Dakar a initié deux projets de lois qui couvrent de façon spécifique le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la piraterie maritime. « Pour mieux lutter contre certaines infractions commises en bandes organisées et toute autre forme d’économie parallèle, il convient d’élargir la palette des infractions de financement du terrorisme et de donner une vocation plus englobante de l’infraction d’association de malfaiteurs », a expliqué le législateur.
Mais dans le cadre du vote de ces nouvelles dispositions, des manifestations menées par l’opposition ont éclaté le 25 juin à Dakar. Elles ont été nourries par des étudiants et des populations qui estiment que le prétexte du renforcement de la lutte contre le blanchiment et le terrorisme est utilisé par l’administration Sall pour « bâillonner l’opposition et dresser le lit à un troisième mandat de Macky Sall». Quitte à forcer un peu le trait. Ainsi, selon le ministre de la Justice, Malick Sall, l’article visé par l’opposition (279) « a été déjà voté par votre Assemblée le 28 octobre 2016. Il n’est nullement concerné par les deux textes soumis à votre appréciation ». Autrement dit, l’opposition proteste avec 5 ans de retard et, ce faisant, se contredit : si l’article promulgué en 2016, entré en vigueur depuis, était si liberticide qu’elle le prétend, elle n’aurait tout simplement pas pu manifester contre cet article…
Pour les autorités, cette loi ne poursuit qu’un seul but : protéger les Sénégalais de la menace tout en préservant l’intégrité nationale. Et en effet, d’un point de vue objectif, le contexte sécuritaire actuel dans les pays voisins justifie aisément l’adoption de ces lois. En mai dernier, Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, a salué la tenue du débat et a déclaré dans une tribune sur Jeune Afrique que « les attaques terroristes de 2016 auraient dû pousser le Sénégal à mieux évaluer les dangers d’une régionalisation du terrorisme », déplorant le fait que le pays ait « préféré croire au mythe, savamment entretenu, de la résilience exceptionnelle d’un pays marqué par un islam soufi-confrérique considéré comme un solide rempart contre l’extrémisme ».
Plus loin dans son exposé, l’enseignant fait remarquer qu’au vu de la porosité des frontières avec le Mali, la jeunesse sénégalaise est de plus en plus réceptive au message djihadiste. Pour preuve, de nombreux jeunes Sénégalais ont été retrouvés dans les rangs de Boko Haram en 2015 et plusieurs personnes ont été arrêtées en 2018, soupçonnées de terrorisme. Le responsable estime qu’il urge d’agir au risque de subir les affres d’un terrorisme domestique.
En résumé, l’opposition et le gouvernement s’écharpent sur un sujet qui implique l’intérêt national. La première oublie de poser la seule question qui vaille : ces nouvelles lois sont-elles nécessaires ? Sans doute, puisque cette réglementation devrait empêcher l’éclosion au niveau local de structures terroristes en germination, assurer la sécurité des biens et des personnes et garantir la souveraineté nationale face à une menace de plus en plus prégnante.
Par Michael Tchokpodo