La crise du Covid-19 peut être le révélateur des limites de capacité des chefs États africains, incapables de protéger leur population.
1. La crise de trop sur les appareils d’Etats ?
L’onde de choc à venir du Covid-19 en Afrique pourrait être le coup de trop porté aux appareils d’Etat. Le taux de médicalisation est quasi-nul et les systèmes de santé nationaux peuvent être considérés comme saturés d’office. L’Etat va faire massivement la preuve de son incapacité à protéger ses populations. Cette crise pourrait être le dernier étage du procès populaire contre l’Etat, qui n’avait déjà pas su répondre aux crises économiques, politiques et sécuritaires. Les déclencheurs de la crise politique pourraient prendre plusieurs formes : un nombre trop élevé de décès ; l’effet de comparaison défavorables à certains Etats – notamment francophones – fragiles ou dont les politiques publiques sont défaillantes (Sahel, Afrique centrale) au miroir d’autres Etats africains aux institutions plus solides qui incarnent l’autorité (à l’image du Rwanda ou du Sénégal) ; ou encore le « mort politique zéro » – c’est-à-dire la personnalité dont la mort cristalliserait la contestation, qu’il appartienne au système en place ou à l’opposition.
Le risque d’infection d’un dirigeant âgé et souffrant d’autres pathologies pourrait avoir de lourdes conséquences et obligerait à se positionner clairement et rapidement sur la fin d’un système et sur une transition.De manière plus structurelle, le Covid-19 a deux dimensions économiques spécifiques sur le continent. En Afrique de l’Ouest, les mesures de confinement saperont l’équilibre fragile de l’informel, économie de survie quotidienne essentielle au maintien du contrat social. En Afrique centrale, le choc pourrait précipiter la crise finale de la rente pétrolière au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville (effondrement d’un prix du baril déjà en crise avec la demandé, aggravé par un ralentissement de la production, et risque d’accélération de la réflexion d’opérateurs pétroliers – Total au premier chef – de quitter ces pays), là aussi au cœur des équilibres sociaux. Dans les deux cas, cela pourrait constituer le facteur économique déclencheur des processus de transition politique.
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2. Un virus politique
Les villes sont les potentiels épicentres de crises. Au bout de quelques semaines – certainement assez rapidement – la question dura vitaillement des quartiers va se poser sous trois formes : l’eau, la nourriture et l’électricité. Des phénomènes de panique urbaine pourraient apparaître : elles sont le terreau sur lequel se construisent les manipulations des émotions populaires. Cette recette fait lelit d’entreprises politiques populistes. Ce sont les classes moyennes en cours de déclassement qui seront les premières fragilisées, car leur quotidien risque de s’effondrer. La question de la sélection ne portera pas sur les personnes à sauver médicalement (faute de capacités d’accueil), mais sur les besoins de premières nécessités : quel quartier ravitailler ? quelles autorités locales crédibles peuvent être les relais d’organisation de la distribution ?quels produits de première nécessité fournir dans une phase attendue de pénurie ?
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Dans ce contexte, des hausses de la délinquance sont attendues, mettant d’autant plus à l’épreuve l’autorité de l’Etat .Le discrédit qui frappe les paroles institutionnelles va en outre s’amplifier. L’information se recompose déjà par le bas, en marge des informations publiques via les réseaux sociaux. Le poids des réseaux sociaux va considérablement peser, a fortiori avec le confinement qui va couper littéralement les sociétés des institutions publiques. Faute de parole publique crédible, les thèses complotistes commencent déjà à fleurir et s’ajoutent aux simples fausses informations pour participer d’une perte de contrôle des opinions publiques. A cela s’ajoutent les dynamiques de rumeurs populaires, lesquelles sont tout autant susceptibles d’être instrumentalisées pour orienter des violences collectives.
3. « Infodemic » : serment d’Hippocrate versus serments d’hypocrites
Le répertoire de la morale publique va être mobilisé face à la faillite des gouvernants. L’immanquable détournement de biens publics (à commencer par des masques) et de l’aide sanitaire internationale à venir (déjà dénoncée sous le terme « Covid-business ») peut facilement cristalliser l’ultime perte de crédit des dirigeants.A ce stade, quatre catégories d’acteurs ont la capacité démobiliser des foules, qui doivent donc d’ores et déjà constituer des interlocuteurs pour nos efforts de gestion de la crise en Afrique.
●Les premiers sont les autorités religieuses. Si des institutions ont accepté d’accompagner les premières consignes (Eglise catholique, certaines confréries musulmanes), d’autres pourraient vouloir défier l’ordre public pour imposer le leur dans ce moment de faiblesse de l’Etat, des entrepreneurs politico-religieux musulmans au Sahel avec un agenda socio-politique aux Eglises du Réveil sur la Côte avec un agenda pluses chatologique. Ils ont fondé leur succès sur la canalisation politique des émotions populaires.
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●Les deuxièmes sont les diasporas : elles ont un devoir d’information civique. C’est d’Europe, depuis les relais d’information organisés par les diasporas, que sont considérées les informations fiables lues et diffusées sur le Covid à travers l’Afrique francophone.
●Les troisièmes sont les artistes populaires : ils restent – à quelques exceptions près – des autorités morales crédibles et façonnent les opinions publiques.
●Les quatrièmes sont les entrepreneurs économiques et les businessmen néo-libéraux. Riches et globalisés, ils se positionnent comme les philanthropes du continent : ils peuvent jouer un rôle s’ils décident d’engager leurs moyens ou de se poser en intermédiaires entre le système de gouvernance mondiale et l’Afrique, mais dans tous les cas, ils souligneront la faillite de l’Etat. Face à l’incapacité de l’Etat à protéger ses populations et faceaux ambitions politico-opportunistes de certains, il convient en outre de soutenir des paroles publiques d’experts africains scientifiques et spécialistes de la santé. Il existe une communauté scientifique médicale africaine qui peut être mobilisée et soutenue.
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La crise du Covid-19 va repositionner la perception du bien public en dehors des mains des gouvernants, dans le discours mais surtout dans les rapports de force politique pour le contrôle de l’Etat, pendant et après la crise. Anticiper le discrédit des autorités politiques signifie accompagner en urgence l’émergence d’autres formes d’autorités africaines crédibles pour s’adresser aux peuples afin d’affronter les responsabilités de la crise politique qui va naître du choc provoqué par le Covid-19 en Afrique… et sans doute ailleurs