Selon le bilan le plus récent, évidemment amené à évoluer, le continent africain compte 1.100 cas de coronavirus et 26 morts dans 40 pays. L’Ouganda et l’Erythrée ont rejoint la liste des pays africains qui ont annoncé le week-end dernier leurs premiers cas confirmés de Covid-19. Et la Tanzanie, l’Ethiopie, Maurice et le Kenya ont fait état de cas supplémentaires.
Du Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, à l’île Maurice, au large de la côte est, des gouvernements ont interdit des rassemblements publics et fermé écoles, églises, mosquées, restaurants, bars et aéroports. L’Ethiopie vient d’annoncer qu’elle fermait ses frontières. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’était inquiétée à plusieurs reprises ces derniers jours d’une poussée de la pandémie sur le continent africain, dont les systèmes de santé manquent cruellement de moyens. Mais ce n’est pas la seule raison qui fait craindre aux ONG que la pandémie soit très difficile à combattre sur place…
Une fenêtre de tir pour dépister
Certains pays ne comptent pour le moment que quelques cas. Et le dépistage est déjà lancé. « On compte plus de 40 pays qui peuvent faire des tests RT-PCR, souligne Augustin Augier, directeur général d’ Alima, ONG qui agit pour la santé dans douze pays africains. Mais dans des quantités largement insuffisantes. Ces pays vont avoir besoin de personnel formé, de stocks de réactif et de machines. » Or, c’est dans ce début d’épidémie que dépister s’avère primordial.
« On a compris qu’il est très utile de tester largement pour isoler les malades et leurs contacts dans cette première phase, analyse Isabelle Defourny, directrice des opérations de Médecins sans frontières. Mais dans les pays africains dans lesquels on travaille, les ministères nous expliquent qu’ils détiennent entre 500 et 1.000 tests. En Corée du Sud, on faisait jusqu’à 20.000 tests par jour…. » Or, aujourd’hui tous les pays touchés s’arrachent ces précieux tests. Ces ONG espèrent que les tests actuellement produits en grande quantité en Occident pourront un jour servir aux pays africains, quand la vague sera passée en Europe et aux Etats-Unis.Des systèmes de santé fragilisés
Une majorité de ces pays africains n’aura pas les moyens de contenir la pandémie. « Pour faire baisser la mortalité chez les patients atteints du coronavirus, il faut avoir accès à une assistance respiratoire, souligne Augustin Augier. Or, dans ces pays, il n’y a quasiment aucune capacité à leur prodiguer les soins nécessaires. En Afrique de l’Ouest, il y a vingt fois moins de lits d’hôpitaux qu’en France. Et en plus, il n’y a quasiment pas de services de soins de suivi. » Quand aux respirateurs, ils se comptent en dizaines pour des millions de personnes… « Au Nigeria, on compte seulement 250 lits de réanimation avec des respirateurs mécaniques [la France en a 5.000], renchérit Isabelle Defourny. Il faut au minimum de l’oxygène et des protections (masques, gants, lunettes, surblouses…) pour le personnel médical. Dans tous les hôpitaux en Afrique, il y a des protections, mais avec le Covid-19, la consommation de masques est multipliée par 10 ou 20. Peu d’hôpitaux ont le stock suffisant pour affronter cette augmentation des besoins. » Sans quoi les soignants tomberont à leur tour malades, et le système de santé risque d’être encore davantage paralysé.
Or, les hôpitaux sont déjà à la peine. En plus des guerres et violences multiples, certains pays africains doivent déjà lutter contre plusieurs maladies mortelles. « Les systèmes de santé doivent gérer toutes les autres pathologies : malnutrition, paludisme, rougeole, urgences obstétriques », rappelle le directeur d’Alima. D’autant que les ONG ont de plus en plus en de difficultés à acheminer des médicaments, des médecins, de la nourriture, avec des transports aériens à l’arrêt dans certains pays. Et des frontières qui se ferment. MSF assure de son côté négocier pour pouvoir envoyer du matériel adéquat dans certains pays.
Pas les moyens de confiner
Certains pays, le Rwanda et le Nigeria par exemple, commencent à mettre en place des mesures pour isoler les malades avec une aide financière. Ce qui ne va pas de soi partout. « Imposer un confinement total est impossible dans des économies où la plupart des gens mangent le soir ce qu’ils ont gagné la journée, reprend Augustin Augier. Car ils n’ont aucune ressource pour survivre, ni épargne, ni patrimoine. En France, aux Etats-Unis, l’État est présent avec des mesures comme le chômage partiel, les arrêts de travail pour garde d’enfants. Un certain nombre de pays africains sont trop pauvres pour mettre en œuvre cette protection étatique. »
Voilà pourquoi le directeur de l’ONG appelle à un grand mouvement de solidarité internationale.
« Une solidarité nécessaire »
Le défi est immense à l’heure où nombre de pays occidentaux font face à la plus grande crise sanitaire depuis cent ans. Et le désastre économique s’annonce majeur. Est-ce que la France, l’Italie, les Etats-Unis seront disposés à envoyer des masques, des tests, des moyens humains et financiers pour épauler les pays africains ?
« C’est nécessaire pour trois raisons, liste Augustin Augier. D’abord sur un plan humain et humanitaire : on ne peut pas accepter qu’un continent s’effondre et que la mortalité explose. Par ailleurs, si on n’arrive pas à contrôler l’épidémie alors qu’elle circule dans un continent comme l’Afrique, elle sera réintroduite chez nous. Enfin, pour une troisième raison, géopolitique cette fois. L’épidémie peut contribuer à la déstabilisation de certaines régions. Par exemple, au Sahel, les groupes armés ne vont pas s’arrêter pendant le coronavirus… »