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Un horrible «crime d’honneur» bouleverse l’Iran



Romina, une jeune villageoise de 14 ans, a été décapitée par son père pour s’être enfuie avec son amoureux. Son assassinat déchaîne depuis 15 jours la colère des Iraniens sur les réseaux sociaux. Sa mort a provoqué l’adoption de la première loi protégeant l’enfance.

Quelques jours avant de décapiter Romina, sa fille de 14 ans, Reza Achrafi a appelé un proche parent qui exerce la profession d’avocat. « Qu’est-ce que je risque ? », lui a-t-il demandé. Entre trois et cinq ans de prison, en aucun cas la peine de mort, lui a répondu l’homme de loi. Tout est d’une sordidité accablante dans l’assassinat de Romina Achrafi. C’est pourquoi, une quinzaine de jours après sa mort, la colère des Iraniens n’est toujours pas retombée et sa photo maille toujours Instagram, le réseau social préféré de la jeunesse iranienne.

Jamais un « crime d’honneur », pour reprendre la terminologie en vigueur, n’avait à ce point secoué l’Iran ni incité une grande partie de la population à demander un changement radical de la législation. Le président Hassan Rohani s’est senti obligé de parler du meurtre de l’adolescente, le qualifiant de « violence conjugale », et même le Guide suprême Ali Khamenei, que l’on n’attendait pas sur un tel sujet, a fait allusion à sa mort « anti-islamique » et appelé au respect des femmes.

La plupart des journaux, qui se sont saisis de l’affaire, ont consacré leur une à la jeune fille en publiant une grande photo d’elle apparaissant rayonnante, avec un bouquet de fleurs.

La Une Du Quotidien Réformateur &Quot;Kargozaran&Quot;. © Capture D'Écran/DrLa une du quotidien réformateur « Kargozaran ». © Capture d’écran/DR

Mais même la mort n’arrête pas les tartuffes de Téhéran : certains se sont permis de rabattre son foulard sur son front pour cacher ses cheveux, d’allonger sa veste et de lui mettre des chaussettes pour qu’on n’aperçoive pas ses chevilles afin de respecter le code vestimentaire islamique.

L’histoire de Romina Achrafi se déroule dans la préfecture de Talesh, une des régions les plus belles et verdoyantes de la province de Gilan (nord de l’Iran). Mais la vie est souvent difficile pour les adolescentes soumises à des pressions sociales jugées d’un autre âge, elles qui vivent comme toutes les jeunes Iraniennes à l’heure des réseaux sociaux et du téléphone portable. Comme l’expliquera le chef de la police de Gilan, 295 d’entre elles, âgées de moins de 15 ans, ont fugué l’année dernière sur l’ensemble de la province.

Le village de Sefid Sangan (Les Pierres blanches), où vit Romina, ne fait pas exception. Selon le quotidien Shahrvand, qui appartient au Croissant-Rouge iranien et a effectué une longue enquête, deux filles de son école avaient déjà fui le milieu familial. Rattrapées par la police, l’une des deux fugueuses a été durement battue par son père et la seconde a disparu après avoir été chassée du foyer par ses parents.

Romina sait qu’elle risque gros en décidant de s’enfuir, d’autant plus que ses relations avec son père, un homme brutal, sont exécrables. « Son père ne lui laissait pas de liberté, il ne la laissait pas sortir où elle voulait, il ne la laissait pas s’habiller comme elle voulait… Je crois qu’elle a fui parce qu’elle avait peur de lui », a expliqué la mère de Romina à l’agence iranienne Young Journalist Club.

L’adolescente fugue mais en compagnie de son petit ami, Bahman Khavari, âgé de 29 ans, qui expliquera plus tard que leur histoire d’amour durait « depuis quelques années ». Les deux amoureux projettent de se marier, ce qui est possible en Iran puisque l’âge légal du mariage est de 13 ans pour les femmes et de 15 ans pour les hommes. Mais la femme doit d’abord avoir l’accord de son tuteur légal pour valider le mariage. Sauf si un juge passe outre.

Bahman avait d’ailleurs demandé la main de Romina à son père qui, sans être opposé au principe d’un mariage de sa fille, avait refusé. Au moins pour une raison : le prétendant était sunnite et la famille chiite.

« Papa, toi qui voulais me tuer, pense que je suis morte », écrit Romina la nuit de sa fuite avec le jeune homme dans une lettre adressée à ses parents et retrouvée dans la salle de bains. Elle y joint un dessin représentant une femme pendue.

Les deux amoureux quittent le village et vont essayer de se marier. Les préparatifs sont en cours, la robe est achetée, mais la police les retrouve, trois jours plus tard. Bahman Khavari est envoyé un temps en détention et Romina ramenée à son père. L’adolescente sait que ce dernier projette de la tuer et fait part de cette menace aux forces de l’ordre, qui l’ignorent totalement.

Au village, on sait aussi que la vie de l’adolescente est en danger. Le grand-père a même caché la faucille qui va servir à commettre le meurtre. Mais le père, faisant valoir qu’il a pardonné à sa fille et avoir besoin de cet outil, parvient à la récupérer, selon le journal Shahrvand. En fait, il est bien décidé à l’assassiner. D’abord, il va s’employer à la convaincre de s’empoisonner avec de la mort-aux-rats. « Suicide-toi et je n’aurai pas à te tuer », lui répète-t-il. Devant son refus, il fera pression sur sa femme : « Dis-lui, toi, de se tuer. Sinon, c’est moi qui vais le faire. »

C’est finalement avec la faucille qu’il décapitera sa fille quelques jours plus tard, le 27 mai, pendant son sommeil, avant de se rendre ensuite à la police avec l’arme du meurtre. La raison : la crainte du qu’en-dira-t-on des voisins, avance la presse iranienne.

Ce qui a enflammé l’Iran, c’est d’apprendre que les habitants de Sefid Sangan n’ont rien fait pour protéger la jeune fille. Le jour des funérailles, écrit le quotidien Shahrvand« dans les allées étroites du village, le silence dominait. Et les gens avaient tous la tête baissée de honte »« Au diable cet honneur à la Daech ! », s’est indigné l’artiste iranien Mehdi Ahmadian avec un dessin représentant côte à côte un père sur le point d’égorger sa fille et un combattant de l’État islamique faisant de même avec un prisonnier.

Dessin De Mehdi Ahmadian. © DrDessin de Mehdi Ahmadian. © DR

« Pour la première fois, souligne Azadeh Kian, spécialiste de l’Iran et professeure de sociologie à l’université Paris VII-Diderot, autrice de Femmes et pouvoir en islam (Michalon, 2019), une mère s’est désolidarisée de son mari et a souhaité qu’il soit puni. Normalement, les mères se rangent du côté du mari. » Elle ajoute : « C’est plus que de la colère que l’on peut voir sur les réseaux sociaux. Car, au village, personne ne l’a défendue, alors que le père de Romina avait ouvertement fait savoir qu’il allait la tuer. La police, aussi, avait connaissance de ce qu’il risquait de se passer. Enfin, ce qui a fait monter la colère, c’est la disproportion entre la gravité de l’acte et le châtiment que le meurtrier encourt, sachant que celui-ci ne risque pas grand-chose. »

 

En effet, selon le code pénal issu de la charia en vigueur dans la République islamique, les lois du Qisas (la loi du talion), c’est-à-dire la réciprocité du crime et de la peine, ne s’appliquent pas lorsqu’un père tue ses enfants parce qu’il en est le propriétaire – et non la mère – jusqu’à leur majorité. D’où une peine probable de quelques années de prison – dix au maximum.

« Mais, grâce aux réseaux sociaux, l’assassinat de Romina a pu être connu de tous, analyse Azadeh Kian. Elle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, le cas par excellence pour demander l’abrogation des lois discriminatoires contre les femmes. Ce qui a joué aussi, c’est qu’elle était jeune, belle, coquette, contrairement aux autres cas dont on avait entendu parler. C’est pourquoi, et pour la première fois aussi, les autorités ont dû répondre à la colère de la société. Ordre a été donné au ministère de la justice pour que le meurtrier n’échappe pas à la prison. »

« Les autorités se devaient de réagir, sachant que cet assassinat s’est produit dans un contexte de mécontentement généralisé, à cause de la terrible crise économique et de la gestion désastreuse de l’épidémie de Covid-19. Jusqu’à présent, si on savait que ce type de meurtre existait, surtout dans les petites villes du Nord, ou chez les Kurdes, on n’en parlait pas », poursuit-elle.

« Romina est morte, mais des milliers d’enfants sont chaque jour sur la crête entre la vie et la mort. Cette affaire montre clairement le manque de lois protégeant l’enfance », regrettait de son côté, lundi, Reza Shafahkhah, un avocat et militant spécialisé dans la défense du droit de l’enfant, dans une déclaration aux médias iraniens.

Dans l’urgence, une loi de protection de l’enfance a cependant été validée le 7 juin par le Conseil des Gardiens de la Constitution, une institution chargée de vérifier la conformité des lois avec les textes constitutionnels, qui la bloquait depuis… onze ans. Pour la première fois, elle criminalise l’abus physique ou psychologique d’un enfant ou son abandon.

Même si elle ne dit rien sur la question du mariage des enfants ni sur les peines prévues pour les parents qui les tuent ou les battent, ni sur la peine de mort concernant les mineurs, elle constitue la première mention légale d’une protection pour les enfants et les adolescents en Iran. Si cette loi avait été adoptée quelques semaines plus tôt, la jeune fille pourrait être toujours en vie, a écrit l’agence de presse officielle IRNA, qui l’a surnommée « la loi Romina ».

Mais l’incertitude demeure pour la validation d’un autre projet loi qui vise la protection des femmes, et qui est bloqué depuis huit ans. Le nouveau Majlis (Parlement), issu des élections de février, est composé pour l’essentiel d’anciens membres des Gardiens de la révolution. Il est donc l’un des plus « durs » que l’Iran ait jamais eus et rien n’indique qu’il poussera le projet. D’où l’inquiétude des organisations de femmes iraniennes.

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