Un enfant meurt tous les 5 jours en France en moyenne des maltraitances infligées par sa famille (source : rapport gouvernemental d’avril 2019). Les violences familiales touchent en effet un grand nombre d’enfants : 14% des Français déclarent ainsi avoir été victimes de maltraitances – physiques, sexuelles et psychologiques – au cours de leur enfance (source : sondage Harris-L’Enfant Bleu 2014) et 86,8% des maltraitances sont intrafamiliales. Avoir un père violent ou une mère violente bouleverse forcément notre manière de nous développer. Quels adultes deviennent ces enfants maltraités ? Gardent-ils les stigmates de la violence de leur enfance ? Ces femmes ont bien voulu témoigner.

Isabelle, 33 ans : « Je ne pouvais pas envisager d’être mère »

« Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais envisagé d’être mère un jour. Je ne voulais pas d’enfants. Ma mère a été maltraitante, et elle avait elle-même était maltraitée par sa mère. En refusant l’idée de la maternité, j’avais l’impression que j’allais enfin mettre un terme à cette espèce de malédiction familiale. Mon compagnon actuel, avec qui je vis depuis 3 ans, rêve d’un enfant. J’ai évolué ces dernières années, grâce à lui. Déjà, il m’a appris à me sentir femme, ce qui était loin d’être le cas. Sans doute était-ce un premier pas vers la possibilité d’une maternité… La preuve, ce n’est plus une option que je rejette complètement. Mais j’ai encore trop de colère en moi, et surtout trop d’angoisses. C’est étrange, mais j’ai l’impression que je ne pourrais être une bonne mère que si j’accouche d’un petit garçon. Alors peut-être sera-t-il épargné, comme l’a été mon frère. »

Sabrina, 41 ans : « Impossible pour moi de mettre des limites »

« A 14 ans, je suis partie vivre chez mon père après 10 ans de maltraitance de la part de mon beau-père. J’ai entamé une psychothérapie qui m’a énormément aidée. A 25 ans, je n’avais qu’un envie : avoir un enfant. C’est à cette époque que j’ai rencontré mon mari, on a pris notre temps, à 30 ans je suis tombée enceinte et cette nouvelle a été la plus belle de ma vie. Ma grossesse a été très sereine, je n’avais qu’une hâte : aimer ce bébé, le choyer, faire en sorte qu’il ne manque de rien et surtout pas de tendresse. C’est à sa naissance que mes angoisses ont resurgies. Dès les premiers jours, je ne supportais pas ses pleurs, non par fatigue ou colère, mais parce que j’y voyais la preuve que je ne faisais pas bien, ou pas assez. Quelques mois plus tard, c’est l’autorité qui m’a posé problème : impossible pour moi de hausser le ton, de lui interdire quoi que ce soit, de mettre des limites. Heureusement, mon mari a été là pour exercer une autorité dont j’étais incapable de faire preuve. Ca a été difficile pour notre couple, lui avait le sale rôle, mais aujourd’hui, notre fils a 10 ans et j’ai enfin compris que les bonnes limites à lui poser étaient celles qui l’aideraient à se construire, et pas à le détruire. »

Maria, 29 ans : « J’attendais de cet enfant qu’il finisse de me guérir »

« Je suis enceinte de mon premier enfant, et si cette grossesse était entièrement désirée et espérée, les 6 mois qui nous séparent de son arrivée ne sont pas de trop. Quand je suis tombée enceinte il y a 3 mois, j’ai réalisé à quel point j’attendais de cet enfant qu’il finisse de me guérir. Or, je ne veux pas lui faire porter ce poids-là. Je sens déjà que cet enfant me donne une force nouvelle, mais je refuse de le considérer comme un remède à mes vieilles blessures. Ma psy m’a dit récemment quelque chose qui résume bien mon état d’esprit. Alors que je lui parlais de la quantité énorme d’amour que j’avais en stock et de ma peur d’étouffer mon bébé, elle m’a répondu qu’il n’y avait jamais trop d’amour, trop de câlins, mais que ce qui comptait était l’intention de ces élans. Je veux que mes câlins le consolent, pas qu’ils me consolent. »

Violence parentale : L’avis de Françoise Peille, psychologue clinicienne

En quoi la maternité peut-elle être un bouleversement chez des femmes ayant été maltraitées ?

La maternité est un bouleversement pour toutes les femmes, car en changeant de statut, en devenant parent, on revit toujours quelque chose de notre histoire d’enfant. Les femmes ayant subi des violences revivent souvent en images cette période. De plus, lorsqu’on désire un enfant, tout homme et toute femme passe par une période d’identification à sa propre mère : soit on veut faire « comme elle », soit on a l’impression qu’on ne pourra pas faire autrement. Isabelle, notre maman du témoignage, parle d’ailleurs d’une fatalité, comme si les choses étaient écrites et qu’elle ne pourrait rien y changer. Or il n’y a pas de fatalité car rien ne se rejoue à l’identique et le rôle du compagnon de la mère est essentiel.

A quelles difficultés dans leur maternité peuvent-être confrontées les femmes ayant subi des violences dans leur enfance ?

Chez toutes les femmes, la maternité est un cheminement de l’enfant imaginaire à l’enfant réel. En même temps quand naît le désir d’enfant naissent des projections qui correspondent à un enfant « idéal ». A partir de la naissance de l’enfant, sa maman fait connaissance avec lui et intègre qu’il n’est pas celui qu’elle avait imaginé. Chez les femmes ayant été maltraitées, le problème peut résider dans la difficulté de se détacher de l’enfant imaginaire, de leurs projections. Mais attention, il n’y a pas de systématicité, le lien mère-enfant peut parfaitement se créer sereinement même si l’histoire de la mère est assez lourde grâce à son environnement et à celui de son enfant.

Peut-on attendre d’un enfant qu’il guérisse des blessures d’enfance ?

L’attendre de lui, non, parce que ce n’est pas son rôle. Mais force est de constater qu’en soignant un enfant, on peut aussi soigner son enfance. Mais attention à ne pas instrumentaliser l’enfant en en faisant un « objet thérapeutique ». Et pour ne pas tomber dans cet écueil, je crois que l’essentiel est d’avoir conscience de la différence : que cet enfant est le leur mais qu’il n’est pas elle. Qu’ensemble, ils écrivent une nouvelle histoire, et qu’elle sera plus belle.

Merci à Françoise Peille, psychologue clinicienne est auteur de plusieurs ouvrages dont La bientraitance de l’enfant en protection sociale (Ed. Armand Colin) et Parent, enfant : à chacun sa place (Ed. De Boeck).

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Que faire en cas de soupçons de maltraitance infantile ?

Le gouvernement a mis en place un numéro d’appel Enfance en danger.  Celui-ci peut être appelé gratuitement et anonymement, et l’appel n’apparaît pas sur le relevé téléphonique. Aussi, les victimes ou les témoins, même auditifs, y compris s’ils ont des doutes, de maltraitance, sont encouragés pour signaler une situation qui représente un danger pour un enfant. Si vous êtes victimes ou témoins de maltraitance, voici d’autres numéros que vous pouvez appeler :

  • La Voix de l’Enfant : 01 56 96 03 00
  • L’Enfant Bleu – Enfants maltraités : 01 56 56 62 62
  • Colosse aux pieds d’argile : 07 50 85 47 10
  • Stop maltraitance / Enfance et Partage : 0 800 05 1234

En cas d’urgence immédiate, appelez la police, la gendarmerie ou les pompiers en composant le 17 ou le 18.