Réexaminé par les députés à partir de lundi, le projet de « loi bioéthique » prévoit la possibilité pour les enfants issus d’une PMA de connaître l’identité de « leur » donneur. Mais certains couples hétérosexuels conservent le droit de cacher à leurs enfants la façon dont ils ont été conçus. Et les modalités retenues pour établir ces nouvelles filiations suscitent encore de nombreuses critiques.
Promise depuis 2012 et sans cesse repoussée, l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) – également appelée assistance médicale à la procréation (AMP) – aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires est sur le point de franchir un nouveau pas. D’ici le 31 juillet, l’Assemblée nationale devrait adopter en deuxième lecture le projet de loi bioéthique avant que le texte ne repasse devant le Sénat à l’automne.
« Faisant mine de s’inscrire dans une démarche progressiste, le Sénat a en fait déployé de remarquables efforts pour en contrecarrer le cours », regrettait début juillet la commission spéciale de l’Assemblée nationale, qui a pour l’essentiel rétabli la version adoptée en première lecture par les députés à l’automne 2019. Elle va même plus loin sur quelques points, contre l’avis du gouvernement, ce qui promet des débats animés en séance publique cette semaine.
Certaines des avancées prévues par le texte, et validées par l’Assemblée, ne devraient plus évoluer. Le verrou sur l’accès légal à la PMA en France, via un parcours encadré et remboursé par la Sécurité sociale, est sur le point de sauter. Depuis 1994, cette procédure était réservée aux couples hétérosexuels pouvant justifier de deux ans de vie commune, souffrant d’infertilité ou risquant de transmettre une maladie très grave. En faisant disparaître le critère médical, le projet de loi étend la PMA à toutes les femmes, en couple ou célibataires, pouvant justifier d’un « projet parental », en excluant toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. C’est l’article 1 du projet de loi.
À ce stade, il faut rappeler quelques chiffres. Sur les 700 000 à 800 000 enfants qui naissent en France chaque année, environ 25 000 (un sur trente) sont issus d’une PMA, qu’il s’agisse d’une fécondation in vitro (FIV) ou d’une insémination artificielle. Contrairement aux idées reçues, sur ces 25 000 enfants, seul un millier (5 %) implique un don de gamètes par un tiers (spermatozoïdes, ovocytes voire embryons), la quasi-totalité ayant été conçus avec les gamètes de leurs deux parents. Avec l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, la proportion d’enfants nés d’un don est appelée à augmenter.
Malgré sa rédaction très technique, le projet de loi touche à des enjeux fondamentaux, universels et assez simples à comprendre : l’égalité et le secret. Comment établir la filiation des enfants sans discriminer les familles selon leur composition ? Les parents ayant eu recours à un don de gamètes ont-ils le droit de cacher à leurs enfants la façon dont ils ont été conçus ? Faut-il les obliger à révéler qu’un tiers a joué un rôle ? Les enfants ont-ils un « droit de savoir » d’où ils viennent ?Quand les parents sont deux femmes, l’existence d’un donneur, anonyme ou non selon les cas, peut difficilement rester secrète. Julie et Solène racontaient ainsi à Mediapart en 2018 avoir expliqué à leur fils Noé qu’il était « né d’une petite graine donnée par un homme que nous sommes allées chercher au Danemark, car deux femmes ne peuvent pas faire un bébé ». « C’est important pour les enfants de ne pas se heurter à l’impossibilité complète de savoir qui a aidé, qui a donné, estimait Solène. Nous, lesbiennes en France, on s’est posé la question, mais cela concerne tout le monde. Il y a encore énormément de mensonge dans les familles hétérosexuelles, c’est lié à une confusion entre biologie et filiation. »
Quand les parents sont une femme et un homme, la « vraisemblance biologique » permet, dans l’absolu, de cacher à l’enfant qu’il est né d’un don. Avec le risque qu’il le découvre un jour sans pouvoir accéder à des informations sur son donneur. En janvier 2018, le témoignage d’Arthur Kermalvezen, qui avait retrouvé son donneur par le biais d’un test génétique interdit en France mais disponible aux États-Unis, avait fait grand bruit. Depuis, l’association PMAnonyme réunit des personnes qui ont retrouvé soit leur donneur, soit des demi-sœurs ou frères.
Après des années de débats, de rapports et de controverses sur la méthode, le législateur a tranché une partie de ces questions : l’anonymat des donneurs sera levé pour que les enfants puissent savoir de qui il s’agit, s’ils le souhaitent, à leur majorité. C’est l’article 3 du projet de loi. « La suppression de l’anonymat est vraiment une excellente nouvelle, estimait la sociologue Martine Gross en 2019. Le législateur reconnaît ainsi que l’existence et la reconnaissance des donneurs ne menacent pas le statut des parents. »
À ses 18 ans, l’enfant pourra saisir une commission ad hoc afin d’accéder à des données non identifiantes sur le donneur (âge, état de santé, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations) mais aussi à son identité complète. De son côté, les candidats au don de sperme ou d’ovocytes devront désormais, pour pouvoir donner, consentir à ce que leur identité puisse être révélée dix-huit ans plus tard si un enfant le demande. Ce consentement est irrévocable. Il ne crée pas, pour autant, d’obligations du donneur envers l’enfant à naître.
Comme le souligne la commission spéciale de l’Assemblée nationale, la levée de l’anonymat « impose de détruire le stock de gamètes et d’embryons issus des dons consentis sous le régime actuel ». Deux phénomènes peuvent ainsi contribuer à une pénurie de gamètes dans les années à venir : d’un côté, l’augmentation du nombre de personnes susceptibles d’avoir recours à la PMA et de l’autre, la destruction des stocks de gamètes préexistants. L’Agence de biomédecine proposerait ainsi aux anciens donneurs « que leurs gamètes ou leurs embryons en cours de conservation continuent à être utilisés dans le cadre du nouveau régime » s’ils consentent à lever l’anonymat.
Si ce changement de régime représente un changement majeur, il ne résout pas tout. Pour partir à la recherche d’un donneur, encore faut-il que l’enfant connaisse son existence. Les parents doivent-ils être contraints, d’une manière ou d’une autre, à la révéler ? L’enfant pourra-t-il s’adresser à la commission pour savoir s’il est né d’un don ? Faut-il faire référence au don dans son état civil, dans son dossier médical ? Les possibilités sont nombreuses et les prises de position très argumentées à l’intérieur même des courants progressistes.
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