Des SMS révélés par Mediapart montrent que l’ex-numéro 2 de la Fifa Jérôme Valcke a rencontré en secret le patron du PSG et de BeIN Nasser Al-Khelaïfi et l’a remercié pour une montre à 40 000 euros, juste après un vote crucial du 24 février 2015 sur le déplacement en hiver du Mondial 2022 au Qatar. La justice suisse a pourtant classé sans suite l’enquête pour corruption.
Nasser Al-Khelaïfi a bien offert, entre 2013 et 2015, de coûteux avantages au Français Jérôme Valcke, à l’époque secrétaire général de la Fifa. Mais le patron qatari du PSG et de la chaîne BeIN Sports ne sera pas jugé pour corruption en Suisse, comme l’a annoncé fin février le Ministère public de la confédération (MPC), le parquet fédéral helvète, au terme de trois ans d’enquête. Nasser Al-Khelaïfi a été renvoyé en correctionnelle pour un délit moins grave, l’« incitation à la gestion déloyale ». Le procès est programmé du 14 au 25 septembre.
L’acte d’accusation du MPC conclut que le patron de BeIN a acheté puis mis à la disposition de Valcke une luxueuse villa en Sardaigne, avantage estimé entre 1,5 et 2,4 millions d’euros. Mais le parquet fédéral, qui voulait un procès pour corruption, a dû y renoncer : au dernier moment, la Fifa a retiré sa plainte après avoir signé un accord amiable avec M. Al-Khelaïfi.
Le patron du PSG était aussi suspecté de corruption au sujet d’une montre Cartier offerte au même Jérôme Valcke lorsqu’il était numéro 2 de la Fifa. Cette fois, ce sont les procureurs qui ont décidé de classer sans suite, au motif que les soupçons que Valcke a reçu la montre « en échange de son influence en tant que Secrétaire général de la FIFA n’ont pas été confirmés », indique le communiqué du MPC.
Les faits mis au jour par l’enquête au sujet de la montre pouvaient être embarrassants pour Nasser Al-Khelaïfi et la Fifa, comme le montrent des documents judiciaires consultés par Mediapart et ses partenaires du réseau European Investigative Collaborations (EIC).
Ces éléments inédits renforcent également la piste que nous avions déjà révélée grâce aux documents Football Leaks : plusieurs éléments matériels suggèrent que le Qatar aurait, par l’intermédiaire de Nasser Al-Khelaïfi et BeIN Sports, accordé des faveurs à Jérôme Valcke et à la Fédération internationale de football afin d’obtenir que la Coupe du Monde 2022 soit déplacée en hiver (lire ici et là).
Nasser Al-Khelaïfi a refusé de s’exprimer sur les faits précis. Ses avocats nous ont répondu que nos allégations étaient « ridicules », et qu’il n’y avait aucun lien entre le contrat BeIN, la villa et le Mondial hivernal. Les conseils du patron de BeIN Sports accusent Mediapart d’enquêter uniquement à charge, « en fonction d’un agenda étroit, prédéterminé et profondément partial ». Ils ajoutent que l’affaire de la montre a été classée parce que les accusations « n’avaient pas, et n’ont jamais eu, la moindre base factuelle ».
Le richissime émirat gazier a obtenu le Mondial en décembre 2010. Dès cette époque, tout le monde à la Fifa savait qu’organiser l’événement en été, comme d’habitude, serait impossible vu la chaleur qui règne au Qatar. Mais la fédération internationale de football a fait traîner le dossier pendant cinq longues années, pendant lesquelles l’émirat aurait mis tout son poids dans la balance pour ne pas perdre son Mondial.
L’avant-dernier épisode de cette bataille s’est joué le 24 février 2015. Jérôme Valcke et une délégation de la Fifa sont à Doha pour une réunion cruciale : celle du comité spécial de la Fifa chargé de trancher l’épineuse question du calendrier du Mondial 2022.
Le verdict tombe à 12 heures : le comité spécial recommande que le tournoi se joue en novembre et décembre. Le Qatar a presque gagné. Il ne manque plus que la validation par le comité exécutif de la Fifa – ce sera chose faite sept mois plus tard.
À 12 h 30, juste après la réunion du comité spécial, Nasser Al-Khelaïfi et Jérôme Valcke se rencontrent en secret pendant une heure et demie au siège de la fédération qatarie de tennis, que préside Al-Khelaïfi. À 14 h 19, juste après avoir pris congé, le secrétaire général de la Fifa envoie ce message à son hôte : « Merci Nasser. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais que tu peux compter sur moi. » « Tu es le meilleur », lui répond le patron de BeIN Sports.
Interrogé par les procureurs, Valcke a indiqué qu’il s’agissait d’une rencontre amicale, sans lien avec l’organisation de la Coupe du Monde. Et que son texto à Nasser Al-Khelaïfi était une simple manifestation d’amitié, qui ne concernait rien de précis.
Après avoir quitté son « ami » Nasser, Jérôme Valcke passe l’après-midi à visiter le site d’un des futurs stades du Mondial 2022. Il rentre à son hôtel à Doha à 18 heures. Dans sa chambre, il découvre sur le lit une montre Cartier en or rose modèle Santos Dumont Squelette, d’une valeur de 40 000 euros.
« Un cadeau de Nasser », écrit le secrétaire général de la Fifa à son épouse par SMS à 18 h 05, en joignant une photo de la montre. « 40 000 € ! », ajoute-t-il. « Waouhhhhhhhh ! Pourquoi ? », réagit-elle. « Juste un cadeau », lui répond Valcke.
Le secrétaire général de la Fifa remercie immédiatement Nasser Al-Khelaïfi : « Merci Nasser pour ton cadeau. Elle est belle », lui écrit-il à 18 h 14. Un quart d’heure plus tard, il précise au patron du PSG qu’il y a un petit souci : la garantie qui est dans la boîte « concerne un autre modèle » de montre.
Interrogé par les procureurs suisses lors de l’enquête, Jérôme Valcke « a indiqué qu’il était clair pour lui que la montre lui avait été offerte par Al-Khelaïfi [et qu’il] n’y avait personne d’autre qu’Al-Khelaïfi qui ait pu entrer en ligne de compte pour lui avoir offert cette montre », écrit le parquet fédéral suisse dans son ordonnance de classement.
Le patron de BeIN Sports a démenti avoir offert la montre, soulignant qu’il n’avait pas répondu aux textos de Valcke. Il a affirmé aux procureurs qu’il s’agissait « peut-être » d’un cadeau du service du protocole du Palais de l’émir.
Nasser Al-Khelaïfi, qui a rang de ministre au Qatar, a produit pour justifier sa thèse une attestation écrite d’un ancien diplomate britannique, qui fut ambassadeur au Qatar de 1990 à 1993. En 2001, immédiatement après avoir pris sa retraite, il a été le conseiller de l’émir du Qatar pendant un an. Il travaille aujourd’hui dans le privé.
Dans son attestation, cet ancien diplomate affirme, de façon générale, qu’il est usuel au Qatar que le service du Palais offre de son propre chef de généreux cadeaux aux dignitaires en visite, et qu’il est fréquent que ces cadeaux soient déposés dans les chambres d’hôtel avant leur départ. Contacté par Mediapart, il n’a pas répondu.
Les dénégations de Nasser Al-Khelaïfi « apparaissent peu crédibles », écrivent les procureurs suisses dans leur ordonnance de classement. Le MPC précise avoir décidé de ne pas poursuivre parce qu’il subsiste un « doute » sur le fait que Nasser Al-Khelaïfi a offert la montre. Et surtout parce que l’enquête n’a pas permis de « confirmer » le « soupçon initial » de corruption.
Les procureurs suspectaient que le patron de BeIN Sport ait pu corrompre Jérôme Valcke, en lui offrant la montre et la villa en Sardaigne, afin que la chaîne qatarie obtienne à vil prix, en 2014, les droits télé des Mondiaux 2026 et 2030 pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Les avocats de Nasser Al-Khelaïfi n’ont guère eu de mal à démonter cette accusation, et pour cause : BeIN a acheté les droits pour le montant record de 480 millions de dollars. « Personne ne peut concurrencer l’offre » de BeIN, a indiqué un haut cadre de la Fifa dans un document versé au dossier judiciaire.
Mais comme le montrent l’épisode de la montre et nos enquêtes publiées depuis octobre dernier (lire ici et là), il y avait une autre hypothèse, étayée par plusieurs éléments matériels, mais que les procureurs suisses ont curieusement choisi de ne pas explorer : le déplacement du Mondial 2022 en hiver.
Si la Fifa a tergiversé pendant cinq ans pour l’accorder au Qatar, c’est parce qu’un tel décalage embêtait tout le monde : cela perturbe les calendriers des championnats nationaux et fait baisser les recettes publicitaires, à cause de la concurrence avec d’autres événements sportifs.
Cet épineux problème apparaît à plusieurs reprises au fil des relations entre Nasser Al-Khelaïfi et Jérôme Valcke.
Reprenons ce fil. Le 30 août 2013, le secrétaire général de la Fifa signe la promesse d’achat de la « Villa Bianca », en Sardaigne, pour 5 millions d’euros, et verse un acompte de 500 000 euros.
Le surlendemain, Valcke quitte Zurich en jet privé, se pose à Paris pour embarquer Nasser Al-Khelaïfi, puis s’envole avec lui vers Doha pour une réunion secrète avec l’émir du Qatar, Tamim al-Thani. Les trois hommes ont discuté d’un décalage du Mondial 2022 en hiver, comme le confirme le mémoire en défense de Valcke dans sa procédure contre la Fifa (il a été suspendu en 2015 puis banni pour dix ans pour diverses affaires).
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