Le penseur italien ne mérite pas forcément sa mauvaise réputation.
Avec sa rédaction du Prince en 1513, Nicolas Machiavel demeure, dans les cercles universitaires de sciences politiques, le fondateur de la discipline –rien de moins.
Cependant, avant de répondre à notre question, il est essentiel de garder en tête ce que le terme «machiavélique», évidemment tiré de son nom de famille, veut dire.
Voici ce qu’en dit le Petit Larousse:
«DÉFINITIONS
- Qui est digne de la doctrine de Machiavel, considérée comme négation de la morale: politique machiavélique.
- Qui est d’une grande perfidie, d’une scélératesse tortueuse: projet, personnage machiavélique.»
Au vu des deux définitions susmentionnées, il est évident que la plupart des gens se foutent de la première: c’est malheureux, puisqu’il s’agit de la définition la plus proche du caractère véritable de l’œuvre de l’auteur. Mais comme la plèbe demeure fondamentalement ignorante en raison de la propagande théologique de l’Église, nous ne nous en offusquerons pas.
Ce qu’il faut comprendre d’entrée de jeu, c’est qu’au XVIe siècle, l’éducation dominante et les courants dits «de bonne pensée» étaient tous reliés à la doctrine catholique, et en particulier au téléologisme aristotélicien, Thomas d’Aquin étant l’un de ses vecteurs de propagation principaux.
En gros, si tu fais des bonnes choses, la force surnaturelle qui plane au-dessus de nos têtes (on va rester neutres, pas envie de transformer cette discussion en champ de bataille «théistes versus cafféistes») te retournera des bonnes choses.
Pour Machiavel, ce genre de pensée était certes bien pratique pour garder la populace dans un état de passivité généralisé, mais fort peu utile aux dirigeants, qui terminaient leurs tours de piste politiques avec plus de couteaux plantés dans le dos que votre support pour ustensiles à steak.
Il a voulu devenir un révolutionnaire de la pensée, notamment grâce à ces deux points:
- en rédigeant simplement et proprement un guide (Il Principe est à la politique ce que The Anarchist Cookbook est à la chimie: vous avez les recettes, mais pas les cibles) pouvant être appliqué facilement;
- en mettant en avant une vision pragmatique de la politique, à la fois pour désentraver les bons leaders qui, à cause de sentiments pieux, finissaient toujours la tête au bout d’une pique, mais aussi pour consigner et analyser empiriquement le fait politique –ce qui constitue le socle théorique des sciences politiques d’aujourd’hui.
Évidemment, pour une Église catholique en mal de superlatifs moraux absolus et manichéens, être pragmatique à la Machiavel équivalait à une remise en question de ses dogmes établis, et donc basta, l’Italien fut mis à l’index en 1559 pour son ouvrage (parce que ce livre était supposément le principal responsable de la corruption politique et morale qui sévissait en France à l’époque, et gnagnagna.)
À la lecture du Prince au XXI? siècle, on s’aperçoit qu’il ne s’agit que d’un condensé de faits neutres, proposés aux dirigeants, afin que ceux-ci améliorent leur durée de vie politique.
Rien de trop choquant, compte tenu de ce qui a déjà été fait. Cependant, aux yeux d’une Église ultramontaine, la moindre remise en question était celle de trop.
La machine à sermons –et à propagande– s’est délurée, et c’est pourquoi, 500 ans plus tard, tout le monde a l’impression que le mec buvait du sang de nouveau-né au petit déj ».
En conclusion, très cher lecteur, très chère lectrice, étant donné que l’œuvre de Machiavel est tombée dans le domaine public depuis au moins quatre siècles, je t’encourage à chercher une version numérique («LE PRINCE + PDF», y a pas d’quoi) que tu pourras apprécier pendant ton confinement très républicain et très ostentatoire.