Dans son rapport annuel, la Commission nationale des droits de l’homme demande aux autorités d’agir avec plus de vigueur contre les discriminations systémiques.
Chaque année, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) remet au gouvernement un rapport aux allures de bible : il dresse un état des lieux précis, circonstancié et critique sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie dans le pays. Il se penche à la fois sur la diffusion des préjugés dans la population, les actes violents ou injurieux, les discriminations du quotidien (accès au logement, à l’emploi) et les effets des politiques publiques.
La livraison 2019 a eu du retard. Comme l’expliquait Jean-Marie Burguburu début mai, il n’était pas aisé, en plein confinement, de mettre la main sur le premier ministre pour lui présenter officiellement le rapport. Sa remise intervient finalement ce jeudi matin, alors que la France s’empoigne depuis bientôt un mois sur le racisme dans la police, les enjeux mémoriels et la mesure des discriminations.
Parmi les outils sur lesquels s’appuie la CNCDH, le « baromètre du racisme » permet de voir évoluer, depuis trente ans, « l’indice de tolérance » au sein de la population, à partir d’un sondage. En 2019, cet indice atteint le score de 66, en baisse d’un point par rapport à l’année précédente. Une société dépourvue de racisme et de stéréotypes sur les groupes minoritaires serait notée 100. Ce chiffre global est accompagné d’une analyse très détaillée des facteurs explicatifs (âge, catégorie socio-professionnelle, niveau de diplôme, positionnement politique, sensibilité à différentes thématiques), commentée par des universitaires.
Malgré une amélioration de long terme, tendant à montrer que le racisme serait de moins en moins enraciné dans les esprits, la CNCDH constate la persistance de « préjugés » sur telle ou telle catégorie de population : 34 % des sondés estiment ainsi que « les Juifs ont un rapport particulier à l’argent », 44,6 % que « l’islam est une menace pour l’identité de la France », 59 % que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » et 60 % que « les Roms exploitent très souvent les enfants ».
La CNCDH examine aussi les statistiques du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice sur les infractions à caractère raciste, sujettes à une « sous-déclaration massive ». Alors que chaque année, dans les enquêtes de victimation, plus d’un million de personnes disent avoir subi une atteinte à caractère raciste en France, seules 5 730 plaintes ont été déposées en 2019 (+ 11 %), tandis que le ministère de la justice enregistre 6 603 affaires à caractère raciste. Souvent « difficiles à prouver » par les victimes ou à « caractériser » pour la justice (comme l’ont déjà montré des travaux sociologiques), ces affaires donnent lieu à peu de condamnations : 393 l’an dernier.
Cette année, le rapport insiste sur deux points. D’une part, le cas particulier des personnes noires, qui subissent « la prégnance de biais racistes issus de la période coloniale » et restent l’une des minorités « les plus discriminées ». « Qu’il s’agisse de l’accès au logement [32 % de chances en moins – ndlr] ou encore du travail [où 49,9 % des personnes noires déclarent avoir subi des discriminations – ndlr], les différences de traitement sont flagrantes. (…) Si l’égalité est au cœur des valeurs républicaines, les personnes noires occupent encore trop souvent une place subalterne dans la société française. »
« Le combat contre le racisme envers la minorité noire nécessite une prise de conscience du phénomène par la société dans son ensemble, une décolonisation des esprits », estime la CNCDH. Mais la Commission attend aussi « une réponse de l’État » pour « surmonter le sentiment de défiance ressenti par une partie de cette population à l’égard de l’autorité publique ». Elle appelle notamment au soutien financier des études et autres opérations de testings visant à mieux mesurer ce phénomène, d’ores et déjà établi.
D’autre part, la CNCDH se penche sur « la haine en ligne », régulée tant bien que mal par les réseaux sociaux, la plate-forme publique de signalement Pharos et la loi Avia adoptée en mai. Critique sur cette nouvelle loi, jugée « inadéquate et disproportionnée », la Commission propose plutôt de « réfléchir à une législation européenne commune », « maintenir la place du juge judiciaire dans le processus de retrait des contenus et de sanction », « créer une instance de régulation spécifique », renforcer l’éducation à la citoyenneté numérique, faciliter les plaintes en ligne et créer une application mobile Pharos.
Au fil de ce rapport apparaissent de nombreux reproches adressés aux autorités, accusées de ne pas en faire assez pour lutter contre le racisme et les discriminations. Malgré « l’exemplarité attendue des pouvoirs publics en la matière, tant dans les mots que dans les actes », les efforts, bien que salués, ne sont pas suffisants. « L’action des services placés sous la responsabilité des autorités publiques se révèle parfois contraire au droit, voire discriminatoire. De façon systémique, et malgré le principe d’égalité entre citoyens, les membres de certaines minorités visibles se retrouvent mal traités : plus souvent en échec scolaire, plus souvent contrôlés / arrêtés par la police, moins bien logés, en moins bonne santé, etc. »
La CNCDH se montre également sévère avec « les interventions publiques de certains responsables politiques », qualifiées de « toxiques » quand « elles mêlent les problématiques de la laïcité et de l’appartenance religieuse, du terrorisme et de l’asile, associent délinquance et immigration » et « trop souvent amplifiées par des acteurs médiatiques peu préoccupés d’éthique ».
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Tout l’intérêt – et la difficulté – d’un bilan réside dans cette articulation fine entre le racisme « individuel », pouvant donner lieu à des situations injustement pénalisantes, et les discriminations systémiques. La CNCDH pointe la responsabilité des pouvoirs publics, par leurs discours, leurs actes et leur absence de volontarisme, dans la persistance d’inégalités en défaveur des minorités. Et leur adresse cette année 59 recommandations pour améliorer les choses.
De façon générale, la CNCDH demande à l’État de mieux sensibiliser ses agents à toutes ces questions – en particulier les enseignants, magistrats, policiers et gendarmes – à travers des formations obligatoires. Avec un double objectif : minimiser les préjugés susceptibles d’affecter leur comportement envers les usagers, mais aussi mieux prendre en charge les victimes de racisme et de discrimination lorsqu’elles se présentent à eux.
L’école républicaine n’est pas exempte de critiques. Outre les programmes de l’Éducation nationale, qui « tout en condamnant le racisme, peuvent néanmoins véhiculer des éléments de racisme, d’antisémitisme et de xénophobie par la façon d’aborder certaines questions », la CNCDH rappelle que « l’expérience scolaire des enfants d’origine étrangère ou perçus comme tels peut être marquée par d’importantes discriminations ». Certaines sont « produites par le système scolaire » lui-même, notamment en ce qui concerne l’orientation des élèves, dans le secondaire comme à l’université.
La CNCDH s’attarde sur certains « profils particuliers » – enfants roms ou perçus comme tels, enfants du voyage, vivant en bidonville ou en squats, en situation de handicap, mineurs non accompagnés, enfants vivant dans les Outre-mer, en particulier en Guyane et à Mayotte. Sur la base de « critères prohibés », une pratique « par définition discriminatoire », des milliers se voient refuser l’accès à l’école par des maires. « La violation de ce droit fondamental à l’éducation en France est dénoncée depuis de nombreuses années par la CNCDH », rappelle la Commission, demandant « que l’État prenne enfin la mesure de l’urgence et de la gravité de la situation et agisse en conséquence », conformément à ses engagements internationaux.
Les stéréotypes visant les Roms, « forme de racisme la plus banalisée et qui suscite le moins de réprobation » dans la population, s’accompagnent d’un désintérêt manifeste des pouvoirs publics. Malgré des « rappels à l’ordre » visant la France, « aucune action spécifique n’a été impulsée par l’État », tandis que les expulsions répétées de bidonvilles et de squats « viennent alimenter des préjugés sur l’association entre Roms et pauvreté, mais également sur la non-légitimité voire l’illégalité de leur présence sur le territoire ».
En ce qui concerne l’action de la police, le rapport mentionne sans surprise les contrôles d’identité, dont le caractère discriminatoire est documenté de longue date. Regrettant que les pouvoirs publics aient rejeté à plusieurs reprises la création d’un récépissé, la CNCDH estime que les solutions « censées pallier toute dérive » ne conviennent pas. Les caméras-piétons sont « avant tout utilisées dans le but de protéger le policier », tandis que « le non-port du RIO par les forces de l’ordre, lors d’une opération de maintien de l’ordre, est une pratique courante qui alimente la suspicion de la population envers le ministère de l’Intérieur ».
La Commission insiste aussi sur la marge de progression dans l’accueil et l’accompagnement des victimes d’infraction à caractère raciste ou discriminatoire, tout au long de la procédure judiciaire. Comme les victimes de violences faites aux femmes, elles se heurtent à « des refus de dépôt plainte », trop souvent transformées en main courante, voire se retrouvent « confrontées à une forme de racisme dans la justification de ces refus ».
Les investigations, difficiles et nécessitant d’être « approfondies », débouchent rarement sur des poursuites. « La CNCDH recommande à la France de s’engager dans une réflexion sur une application juste et efficace des critères de discriminations et encourage la France à repenser son droit, ou à défaut, la mise en œuvre de son droit, afin que soit intégrée la notion d’intersectionnalité. » Elle appelle aussi les juridictions à « favoriser des peines à vertu plus pédagogique » que celles qui font référence à la prison.
Dans le monde du travail enfin, les discriminations fondées sur l’origine « touchent autant l’emploi privé que l’emploi public », souligne la CNCDH, tandis que l’administration peine encore à « se saisir véritablement de cette problématique ». Estimant que « la prévention du racisme passe par le dialogue social », la Commission « note avec inquiétude les effets de la récente réforme du code du travail et des ordonnances Macron », qui ont entraîné un « appauvrissement de la négociation collective ».
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