Fin de la distanciation physique à l’école maternelle, assouplissement des règles en élémentaire, port du masque au collège… Jean-Michel Blanquer a présenté le nouveau protocole sanitaire. Sur le terrain, les directeurs d’écoles sont soulagés mais épuisés.
L’accouchement du nouveau protocole sanitaire a été plus long que prévu. Il a fallu trois jours pour connaître les grandes lignes des modalités de reprise à l’école, dont le principe avait été annoncé par surprise dimanche par Emmanuel Macron. Le temps que les administrations se calent et que le ministère de la santé rende ses arbitrages auprès de celui de l’éducation. Les personnels n’ont plus que deux jours pour s’organiser.
Le 14 juin, le président de la République, lors de sa quatrième prise de parole depuis le début de la crise sanitaire, avait pris tout le monde de court en annonçant le retour « à partir du 22 juin de tous les élèves, de manière obligatoire et selon les règles de présence normale » dans les crèches, en maternelle, élémentaire et au collège.
Mercredi 17 juin, le ministère de l’éducation nationale annonce qu’en maternelle, il n’y a plus de distance à faire respecter entre les élèves. En revanche, les enseignants doivent faire en sorte d’éviter le brassage entre les élèves de classes différentes. En élémentaire, un mètre de distanciation est « recommandé » entre élèves, donc plus forcément obligatoire. Au collège, un mètre de distanciation est à respecter entre élèves et si ce n’est pas possible, les collégiens devront porter un masque.
Selon le nouveau protocole, les enseignants ne seront pas obligés de porter un masque quand ils font cours s’ils sont à une distance d’au moins un mètre des élèves. Ils sont encouragés à faire classe « à l’air libre » ou à utiliser les autres salles vacantes, comme celle de l’étude ou le C.D.I, pour proposer des activités culturelles ou sportives. Les mesures de nettoyage, contraignantes, sont elles aussi assouplies et n’auront lieu qu’une fois par jour.
Invité sur Public Sénat, le ministre Jean-Michel Blanquer a justifié la suppression de la mesure de distanciation « par réalisme ». « On sait que ce n’est pas facile de faire respecter cette distanciation physique et puis parce que le conseil scientifique nous a dit que pour cet âge-là, on peut faire ça, d’après les données que nous avons. »
En ce qui concerne l’école élémentaire, « c’est assez voisin ». « On essaye de faire respecter un mètre. Mais dans certaines classes, lorsque nous recevrons tous les élèves, parfois, on sera obligé d’avoir un peu moins d’un mètre donc c’est possible d’avoir un peu moins d’un mètre », a précisé le ministre.
Laurence*, directrice d’une école élémentaire parisienne au public plutôt mixte, est soulagée. Elle se demandait depuis l’intervention présidentielle comment elle allait résoudre un problème mathématique complexe : « Comment fait-on rentrer 28 élèves dans une salle de classe de 50 m2 en laissant un mètre de chaque côté ? »
Maintenant, elle est satisfaite, même si cet allègement « arrive tard ». « On va pouvoir faire rentrer les 28 tables comme avant. On va pouvoir y arriver. On va se réorganiser au prix de la fatigue des enseignants. » Elle se demande encore comment échelonner les arrivées des élèves et comment organiser les récréations dans le respect des règles. Mais pour tout ça, Laurence attend encore les consignes officielles.
Pour Marie-Hélène Plard, directrice d’école maternelle REP à l’Île-Saint-Denis, secrétaire départementale du Snuipp-FSU 93, casser ces règles, c’est le seul moyen d’accueillir tous les enfants. Lasse d’attendre les consignes officielles, et « le bon vouloir de l’éducation nationale », elle a décidé de rouvrir son école maternelle, « à la normale », avant même les annonces du jour. « Le lavage fréquent des mains et la désinfection et le nettoyage des locaux par la municipalité suffiront. »
Sa seule inquiétude porte sur l’éventuelle absence d’un enseignant malade ou atteint d’une fragilité face au virus. Car il n’y a plus de remplaçants, explique-t-elle.
« C’est bien de retrouver un rythme de vie, de sociabiliser les petits, confie-t-elle. Ces trois dernières semaines, cela n’a pas été l’école de d’habitude, pas avec le copain ou la copine qu’ils voulaient retrouver. L’école, ce n’est pas que les maths et le français, c’est aussi les relations sociales et humaines. Symboliquement, qu’on finisse l’année ensemble est très important. »
Elle prend en compte les conséquences psychologiques sur les enfants de cette absence de fréquentation de l’école physiquement. « Les enfants ont eu peur car ils ont entendu trop de choses à la télé », remarque la directrice. Le 25 mai, seuls 8 % des enfants sont revenus. Marie-Hélène Plard : « Les familles avaient très peur. Et, pour eux, un protocole très strict signifiait que le virus circule encore et que c’est très dangereux. »
Zoé*, directrice d’école maternelle dans une petite ville de Normandie avec une seule école, que nous avions déjà interrogée, trépignait d’obtenir des précisions après l’annonce de la reprise généralisée. Incapable de fournir des réponses précises aux parents, elle est fatiguée. À l’annonce de ces nouvelles règles, elle commente : « Une fois de plus, c’est géré dans l’urgence et on a deux jours pour tout réorganiser, réaménager nos classes comme on peut, et informer toutes les familles qui n’en peuvent plus d’attendre. »
Elle est toutefois satisfaite de ces aménagements même si des interrogations demeurent.
« S’il n’y a plus de distanciation, c’est plus simple mais on ne peut pas utiliser les jeux extérieurs à moins de les désinfecter. Bref, on fait plaisir aux employeurs en faisant garderie. »
Lundi 15 juin, le ministre avait réfuté l’idée que cette réouverture soit inutile. « Deux semaines, c’est très important, chaque jour compte pour un élève. L’école ne doit jamais être une garderie. »
De son côté, Marie-Hélène Plard raconte avoir tant bien que mal essayé de limiter les dégâts par une présence importante à distance. Bien entendu, explique-t-elle, depuis le 16 mars et la fermeture des établissements scolaires, « beaucoup d’énergie a été dépensée pour mettre en place l’école à distance, puis le retour en classes avec ce protocole drastique ». Et là, il va falloir de nouveau mettre en œuvre une nouvelle organisation.
La directrice sature des ordres et des contrordres. Elle garde en travers de la gorge le moment où elle a reçu officiellement le protocole sanitaire dans sa boîte mail, la veille de la reprise, le 11 mai. Heureusement que dans sa commune, la reprise n’a eu lieu que deux semaines plus tard, lui laissant ainsi le temps de digérer les consignes et de réfléchir à la façon de repenser les espaces de son école.
« On se moque de nous depuis le 12 mars. On a eu six heures pour fournir un peu de matériel aux enfants, rien n’était prêt, il a fallu tout inventer et passer notre temps pendus au téléphone avec les parents pendant toute la période de confinement. Il a fallu également expliquer aux parents surinvestis dans la scolarité de leurs enfants, comme beaucoup dans les quartiers populaires, qu’il fallait aussi laisser les petits jouer et ne pas leur faire cinq heures de classes par jour. »
Comme ses homologues, elle n’a plus eu de week-ends de libre ni même d’horaires. Le travail a cannibalisé sa vie privée.
Depuis trois mois, Marie-Hélène Plard a beaucoup songé à la lettre d’adieu de Christine Renon, cette directrice d’école submergée par le travail à Pantin (Seine-Saint-Denis). Elle y dressait avec minutie toute la charge qui lui incombait et les injonctions contradictoires auxquelles elle devait répondre. Jusqu’à en craquer.
« Pour nous, la pression institutionnelle a été très forte et à toute heure, mais le pire, ça a été le déconfinement. Il y a eu une pression pour la réouverture des écoles, il fallait être en lien avec la municipalité, aller à l’inspection pour récupérer les masques et le gel hydroalcoolique et mettre en place le protocole. Il faut aussi gérer la marotte “2S2C”. »
Marie-Hélène Plard ne comprend pas pourquoi les règles n’ont pas été assouplies plus tôt. Les enfants se mélangent déjà au square. La directrice considère aussi qu’il faudrait conserver les règles d’hygiène et de nettoyage tout le temps, Covid ou non. « On a enfin des toilettes propres et du savon partout comme on devrait en avoir tout le temps. » Elle se demande encore comment faire pour gérer la cantine. Les élèves sont deux par table au lieu de quatre d’ordinaire. Si le protocole reste identique sur ce point, impossible pour elle d’accueillir tout le monde.