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France : la police refoule des enfants migrants

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(Paris, le 5 mai 2021) – Chaque mois, la police française expulse sommairement des dizaines d’enfants non accompagnés vers l’Italie, en violation du droit français et du droit international, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Ces expulsions constituent des violations des lois sur la protection de l’enfance et l’immigration.

Pour justifier ces expulsions, la police inscrit fréquemment sur les documents officiels des âges ou des dates de naissance différentes de ceux déclarés par les enfants. Les autorités ont également expulsé sommairement des adultes, y compris des familles avec de jeunes enfants, sans leur indiquer qu’ils avaient le droit de demander l’asile en France.

« La police aux frontières française n’a pas d’autorité légale pour déterminer qui est mineur et qui ne l’est pas. », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Au lieu de jugements hâtifs fondés sur l’apparence ou l’arbitraire, elle devrait orienter ces jeunes vers les autorités de protection de l’enfance pour qu’ils reçoivent une prise en charge adéquate. »

Fin novembre 2020, Human Rights Watch s’est entretenu avec six enfants non accompagnés refoulés en Italie qui ont déclaré à la police française être âgés de moins de 18 ans. Dans chacun de ces cas, bien que les enfants aient indiqué leur âge et, dans certains cas, présenté des documents d’identité, les autorités françaises ont retenu des dates de naissance suggérant qu’ils avaient atteint l’âge adulte. Human Rights Watch s’est également entretenu avec 27 adultes sommairement expulsés de France. Aucun des enfants ou adultes interrogés n’a été informé par les autorités françaises de la possibilité pour eux de demander l’asile en France.

Entre novembre 2020 et avril 2021, Human Rights Watch a également mené des entretiens en personne et à distance avec des bénévoles et des personnels humanitaires, des avocats et d’autres personnes travaillant de part et d’autre de la frontière franco-italienne.

Beaucoup de ces expulsions ont lieu au poste-frontière situé entre Menton, une ville française à environ 30 kilomètres de Nice, et Vintimille, localité italienne du littoral méditerranéen. La police reconduit des enfants et des adultes considérés comme étant entrés irrégulièrement en France au poste-frontière français sur le pont Saint-Louis et leur ordonne de le traverser jusqu’au poste- frontière italien.

De telles situations sont fréquentes, ont déclaré à Human Rights Watch des organisations non gouvernementales travaillant à la frontière franco-italienne. Le personnel de Diaconia Valdese et WeWorld, des organisations italiennes qui fournissent un soutien juridique aux migrants à Vintimille, ont déclaré être témoins de tels cas presque quotidiennement.

Au cours des trois premières semaines de février 2021, des bénévoles de Kesha Niya, une cuisine communautaire de Vintimille offrant des repas et la possibilité de recharger leurs téléphones aux migrants expulsés de France, ont recueilli les témoignages d’une soixantaine d’enfants non accompagnés ayant déclaré avoir été refoulés de France. Les équipes ont également recueilli au moins 30 de ces témoignages d’enfants au cours de chacun des trois mois précédents, ainsi qu’en mars et en avril.

Dans chaque cas, les enfants leur ont montré des formulaires de refus d’admission sur le territoire sur lesquels la police française a inscrit de fausses dates de naissance. Human Rights Watch a examiné bon nombre de ces formulaires, y compris ceux de deux jeunes Soudanais qui ont déclaré être âgés de 17 et 16 ans, alors que la police française a estimé qu’ils avaient respectivement 27 et 20 ans.

Les personnes appréhendées le soir, y compris les enfants, sont souvent détenues la nuit dans l’une des trois unités préfabriquées, chacune de la taille d’un conteneur, avant d’être renvoyées en Italie le lendemain. Enfants et adultes ont confié avoir souvent faim et froid dans ces cellules.

La promiscuité des lieux ne permet aucunement de respecter la distanciation sociale préconisée par les directives nationales de santé publique relatives au Covid-19. Les autorités françaises ne fournissent pas aux détenus de masques ou d’autres équipements de protection, ont précisé les enfants et les adultes interrogés.

Certains enfants et adultes ont également déclaré que la police française ne leur avait pas restitué la totalité de leurs effets personnels avant de les expulser, notamment des documents, des téléphones portables contenant des coordonnées et, dans quelques cas, de l’argent.

Le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française, a reconnu dans une décision du 23 avril que les conditions de détention dans les préfabriqués étaient « susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine », mais a conclu que ce risque n’atteignait pas le seuil juridique requis pour ordonner leur fermeture immédiate.

La loi française autorise la police aux frontières à user d’une procédure accélérée connue sous le nom de « refus d’entrée » pour expulser les personnes arrivant d’Italie tant que les contrôles aux frontières à l’intérieur de l’Union européenne sont en vigueur. La France a rétabli les contrôles aux frontières de l’UE en novembre 2015, juste avant qu’une série d’attaques et de fusillades à Paris et Saint-Denis ne fasse 131 morts.

Etant donné que les agents de la police aux frontières italienne n’acceptent pas les enfants non accompagnés, leurs homologues français devraient remettre ceux-ci aux autorités françaises de protection de l’enfance. La police aux frontières française est tenue de donner à toute personne, y compris aux enfants non accompagnés, la possibilité de demander l’asile en France si elle en fait la demande.

Selon des organisations travaillant à Vintimille, les autorités françaises ont expulsé entre 80 et 120 personnes – adultes comme enfants – chaque jour entre juillet et fin octobre. Lorsque l’Italie et la France ont imposé de nouvelles restrictions fin octobre en réponse à la pandémie de Covid-19, le nombre d’expulsions sommaires est tombé à une moyenne de 50 à 70 par jour, ont-elles constaté. Au cours des mois suivants, les organisations ont constaté une variation considérable du nombre d’expulsions quotidiennes, avec des expulsions sommaires dépassant la centaine certains jours. Les enfants non accompagnés font partie de ceux qui sont refoulés presque quotidiennement, ont-elles précisé.

Ces dernières années, les autorités françaises ont reçu à plusieurs reprises des avertissements selon lesquels ces refoulements enfreignaient fréquemment le droit français et le droit international des droits humains. En octobre dernier, un rapport conjoint d’Amnesty International et de 10 autres organisations non gouvernementales a révélé de nombreux cas pour lesquels la police française avait mentionné des dates de naissance incorrectes sur les formulaires de refus d’entrée, puis refoulé des jeunes ayant pourtant déclaré à la police être âgés de moins de 18 ans.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a également documenté l’utilisation par la police de fausses dates de naissance pour refouler des enfants non accompagnés de Menton vers Vintimille. Les tribunaux français ont parfois ordonné à la police d’autoriser les enfants à rentrer en France après avoir constaté que les autorités avaient reporté de fausses dates de naissance sur les documents d’expulsion.

Les autorités françaises devraient ordonner à la police aux frontières de respecter la loi et d’accepter l’âge déclaré d’une personne s’il existe une possibilité raisonnable que celle-ci soit un mineur. Ces enfants devraient être confiés aux autorités françaises de protection de l’enfance.

Les autorités françaises devraient également veiller à ce que les centres de rétention frontaliers pour adultes respectent les normes minimales en matière de droits humains, notamment en assurant des conditions d’accueil sûres, hygiéniques et conformes à la dignité humaine. Les enfants non accompagnés et les familles avec enfants ne devraient pas être détenus dans de tels lieux.

Les autorités italiennes devraient demander aux personnes refoulées de France si les informations figurant sur leurs documents de refus d’entrée sont exactes et proposer à celles déclarant être âgées de moins de 18 ans et non accompagnées la possibilité d’être remis aux autorités italiennes de protection de l’enfance ou de retourner en France pour y être confiés à la protection de l’enfance dans ce pays, a recommandé Human Rights Watch. Les autorités italiennes devraient également veiller à ce que toute personne refoulée de France, adulte comme enfant, reçoive de la nourriture, un abri, des vêtements et les soins médicaux nécessaires pendant son séjour en Italie.

« Les conditions de rétention dans les centres frontaliers de Menton sont abusives pour les personnes de tout âge. Pour les enfants, elles peuvent être traumatisantes », a conclu Bénédicte Jeannerod.