Les derniers éléments de l’enquête sur la mort de Cédric Chouviat, consultés par Mediapart et Libération, révèlent la responsabilité des quatre policiers, mais aussi celle de leurs collègues et de leur hiérarchie après l’interpellation.
Cédric Chouviat, 42 ans, est décédé à la suite de son interpellation le 3 janvier à Paris. Confiées à l’Inspection générale de la police nationale, les investigations ont conduit, les 7, 8 et 16 juillet, les juges d’instruction à mettre en examen et à placer sous contrôle judiciaire pour « homicide involontaire » trois des quatre fonctionnaires de police, auteurs de ce contrôle qui a dégénéré, avec interdiction d’entrer en contact avec tout ou partie de l’équipage. Le quatrième agent, une policière, a été placé, le 10 juillet, sous le statut de témoin assisté, information confirmée par le parquet de Paris.
À ce jour, ils « n’ont pas fait l’objet d’une demande de suspension de fonction », a précisé, auprès de Mediapart, la Direction générale de la police nationale (DGPN). Le ministère de l’intérieur n’a, quant à lui, pas donné suite à nos sollicitations.
Les derniers éléments de l’enquête, que révèlent Mediapart et Libération, sont pourtant accablants et démontrent les mensonges et les graves manquements aux règles de déontologie, non seulement de la part des ces agents mais également de leur hiérarchie, dont la responsabilité, à ce jour, n’a pas été retenue par la justice.
Contrôlé durant 13 minutes par un équipage de quatre policiers du commissariat du VIIe arrondissement, Cédric Chouviat est interpellé. Après avoir été violemment attrapé par-derrière et par le cou, trois des quatre policiers le plaquent au sol, sur le ventre, encore casqué, et le menottent.
Le livreur dit alors « “je m’arrête” sur un ton vif et “lâche mon casque” avec une voix aiguë paraissant traduire une détresse », selon l’enquête de l’IGPN. Puis, après avoir prononcé plus de sept fois « j’étouffe », il décède par asphyxie (à lire ici). Les secours ne parviendront pas à le réanimer.
Au cours de leurs auditions, les policiers assurent n’avoir pas entendu les cris de détresse du livreur. Pourtant, l’un d’entre eux, Ludovic F., lui a répondu « Monsieur ». Interrogé par l’IGPN, ce gardien de la paix ne « sait plus » pourquoi il a dit cela lorsque le livreur appelait au secours. Il a également oublié les raisons qui l’ont poussé à interpeller son collègue, le chef de bord Michaël P., alors qu’il fait pression sur Cédric Chouviat, en lui disant « c’est bon, c’est bon, lâche », « sur un ton paraissant empreint d’inquiétude », tiennent à préciser les enquêteurs.
Les policiers n’auraient rien entendu. Ils n’auraient rien fait non plus. Une « clef d’étranglement » ? Le chef de bord Michaël P. préfère parler de « maintien de tête ». Les vidéos montrent pourtant le contraire. Sur l’une d’elles, provenant du téléphone de la victime, le bras d’un policier encercle le cou ; sur une autre, tournée par un témoin, alors que Cédric Chouviat est au sol, le chef de bord Michaël P. a de nouveau son bras autour du cou du livreur.
Sa réponse ? « Je ne me rappelais pas avoir utilisé mon bras gauche. (…) J’étais fatigué. D’où ma possible confusion. Je ne sais pas quoi dire. (…) En plus je suis droitier ! En tout cas, il n’y a pas eu de geste volontaire. » Auditionné le 7 juillet, cette fois par un juge, il est resté sur ses positions. Contacté, son avocat Thibault de Montbrial n’a pas donné suite.
Laurent-Franck Lienard, l’avocat représentant l’un des policiers placés sous contrôle judiciaire ainsi que la policière entendue comme témoin assisté, estime quant à lui que la question reste ouverte. « Mes clients sont encore dans le questionnement de savoir ce qui a causé le décès de Cédric Chouviat, commente-t-il auprès de Mediapart. Ils vont participer à toutes les expertises qui vont être ordonnées de manière à établir la vérité. Tout le reste n’est que pure polémique. »
Les conclusions de l’IGPN ne laissent pourtant guère de place au questionnement : le livreur a été amené au sol en quelques secondes par le chef de bord Michaël P., par le « biais principalement d’un étranglement arrière, selon les sources ». Une fois au sol, Cédric Chouviat « s’est retrouvé allongé sur le ventre, évoquant très rapidement sa détresse respiratoire ».
Alors que trois des quatre policiers poursuivaient leur pression sur son dos, l’un d’entre eux « semblait lui pratiquer un étranglement arrière à l’occasion duquel il avait, au moins une fois, exercé une traction sur sa gorge », « conduisant à une compromission momentanée de l’axe tête-cou-tronc ».
La police des polices rappelle au chef de bord le compte rendu d’autopsie et le questionne sur le lien entre l’asphyxie et « la manœuvre d’étranglement que vous semblez avoir opérée au sol au vu des images ». « Je n’ai jamais eu l’intention ni la sensation d’étrangler », répond-il.
Cependant, un agent de police judiciaire adjoint, en poste au commissariat du VIIe arrondissement, qui n’était pas sur place au moment des faits mais à qui les faits ont visiblement été rapportés, reconnaît lors de son audition : « Je sais qu’il y a eu un étranglement effectué pour amener au sol l’individu puis les collègues l’ont retourné pour le menotter et c’est tout. »
Moins de deux minutes après avoir été plaqué au sol, sur le ventre, Cédric Chouviat s’asphyxie. Lorsqu’ils constatent le malaise du livreur, les gardiens de la paix mettent « 1 minute 58 secondes environ » pour lui enlever la première menotte et près de trois minutes, « 2 minutes et 56 secondes » précisément, pour commencer « un massage cardiaque ».
Pourquoi un temps aussi long avant de le secourir ?, interroge à plusieurs reprises l’IGPN. « En quelques secondes, je suis passé d’un contrôle à un malaise grave. Je n’y étais pas préparé. J’étais très fatigué par les efforts déployés pour maîtriser M. Chouviat », répond le chef de bord.