Jeune écrivain au style osé, Félix Mbetbo dénonce le crime du viol dans son dernier livre. L’ouvrage au titre sans équivoque revient sur un phénomène qui sévit au Cameroun et face auquel les victimes préfèrent souvent garder le silence. Auteur et éditeur, il est le symbole d’une littérature très portée sur les questions de mœurs. Portrait.
À 28 ans, Félix Mbetbo a la plume fertile. Né à Bangangté, dans l’ouest francophone du Cameroun, le jeune écrivain, benjamin d’une fratrie de huit enfants, écrit contre les tares qui minent la société camerounaise. Il est également promoteur des éditions Le Muntu.
Son dernier ouvrage, Coupez-leur le ziz!, paru en novembre 2019, est un florilège de témoignages anonymes recueillis auprès des victimes de viol, sélectionnées à la suite d’un appel à témoignages.
«Ces victimes ont pris la peine de rédiger de leur propre main ce crime qu’elles ont vécu et qui a transformé leur vie d’une manière ou d’une autre», précise le jeune auteur au micro de Sputnik.
Le titre de son livre en dit long: Félix Mbetbo veut rompre avec la plume «le silence complice entretenu autour de cette gangrène» car pour lui, il faut la dénoncer avec les mots les plus justes.
Dans un style volontairement provocateur, le jeune auteur, sans filtre, se laisse aller au gré des multiples témoignages. «Il me faisait des attouchements. Me léchait tout le corps et le visage dès que maman avait le dos tourné», peut-on, entre autres, lire dans l’ouvrage.
Lever un pan du voile
Très porté sur les questions de mœurs, il veut lever un pan du voile sur un phénomène qui détruit son pays et dont les victimes se comptent par centaines.
«Les expressions du style “Le viol est un crime”, “Non au viol” et autres me laissaient un peu sur ma faim. Elles n’expriment pas réellement un engagement, elles sont passives et molles à mon goût. Dans “Coupez-leur le zizi”, vous ressentez déjà la rage, l’engagement, la révolte. Cette expression est un cri de guerre, de colère envers et contre le viol ici et ailleurs», revendique-t-il.
Des enquêtes menées dans le processus de rédaction de son ouvrage, il ressort que «le premier problème du viol est l’ignorance flagrante autour du sujet. Même les personnes qui sembleraient les plus cultivées n’en savent pas grand-chose». C’est donc cette ignorance et le refus d’apprendre de ce crime qui alimentent la culture du viol selon l’écrivain.
«C’est cette méconnaissance de l’ampleur du phénomène qui rend l’environnement propice aux violeurs et qui tend à culpabiliser les victimes. Résultat: les violeurs ne sont pas inquiétés et les victimes ne parlent pas, ne sont pas écoutées et font tourner le cercle vicieux», déplore-t-il.
Loin d’être un appel à la mutilation des auteurs de viol, encore moins à la vengeance ou à la justice populaire, «Coupez-leur le ziz!» est une expression imagée utilisée pour interpeller les consciences autour d’un phénomène qui a toujours existé. Selon l’Unicef, au Cameroun, 60% des filles entre 15 et 19 ans ont vécu des expériences de violences sexuelles et 40 % d’entre elles n’en ont jamais parlé.
Diplômé en sciences sociales, Félix Mbetbo n’est pas à ses premiers pas dans l’univers des auteurs. Après son livre Le philosophe et le numérique paru en 2015 et coécrit avec le philosophe camerounais Ebénézer NJoh Moellé, le jeune auteur a publié en 2017 La République du piment, un ouvrage qui pointe du doigt l’érection du sexe en instrument de supplice ou de délice.
«Ce sont des réalités de notre société. D’un côté, vous avez des filles qui se donnent ou s’échangent contre de l’argent, et de l’autre, celles qui sont forcées et détruites par le sexe dans le cas des viols», commente l’auteur.
«Éditer le nouveau type d’homme africain»
En tant qu’auteur et promoteur des éditions Le Muntu, Félix Mbetbo ambitionne d’«éditer le nouveau type homme africain». Sa maison d’édition édite des ouvrages tels que Une dauphine dans un monde de requins, d’Audrey Aboula; Un mélange de l’art et des gens, de Sadrak; Les icônes de la musique camerounaise, d’Arol Ketch; La biographie de Mbappe Leppe, d’Arol Ketch.
Évoquant les difficultés liées à l’environnement du livre au Cameroun, il confie:
«Rien n’est évident sous le soleil, encore moins au Cameroun où le livre est l’objet d’un mépris mélancolique», regrette-t-il.
L’auteur déplore la morosité qui hante la scène littéraire de son pays. «Ce qui fait plaisir à un auteur, ce n’est pas seulement qu’on achète ses livres, mais que les gens le lisent vraiment et le commentent, que ce soit les lecteurs amateurs ou les critiques littéraires.» Pour lui, «un auteur a besoin que les idées énoncées dans son livre soient débattues et développées. Mais chez nous, des choses plus sérieuses préoccupent nos gens», ironise-t-il.
Emboîtant le pas à ses prédécesseurs, Félix Mbetbo essaye de se frayer un chemin dans le paysage littéraire africain. De par son style osé et le choix de ses thèmes, le jeune écrivain se veut le miroir de sa société et le témoin de son époque. Des ambitions nobles pour une littérature camerounaise qui cherche sa relève.