Lorsque les efforts de l’Etat en faveur du monde agricole n’atteignent pas leurs cibles, dans un pays comme le Cameroun, il faut s’en inquiéter, tant le sujet est sensible. Plus que jamais, il est urgent d’instaurer un Guichet unique capable de financer l’ensemble des acteurs du secteur avec efficacité et régularité.
Par Guy Gweth*
C’est un spectacle assez inhabituel pour alerter l’opinion publique, les analystes et les décideurs locaux. D’ordinaire si discrets, les pépiniéristes et semenciers, réunis dans un collectif et munis de pancartes de revendications, manifestent devant le ministère de l’Agriculture et du développement rural (MINADER). Assis dans la capitale camerounaise, depuis le 20 avril 2021, ils réclament ouvertement plusieurs milliards d’arriérés aux pouvoirs publics.
Certains affirment avoir épuisé les recours pour obtenir le règlement de leurs arriérés de prestations de production des semences et des plants. D’autres, parmi eux, confirment que les membres du Collectif des pépiniéristes et semenciers du Cameroun (CPSC) ne sont pas unanimes quant à leur stratégie. Mais leur sit-in prévu du 20 au 23 avril 2021, devant le MINADER, semble transcender leurs divergences pour poser un problème global et crucial.
Les doléances du CPSC sont double. Primo, « le paiement des arriérés dus aux pépiniéristes cacao-café de 2013 à 2016, 2019 et 2020 sur fonds FODECC ». Leur déblocage, écrivent-ils, est soumis à « l’autorisation du Président de la République ». Deuxio, « le paiement des arriérés des acteurs des autres spéculations » : banane plantain, maïs, palmier à huile, etc. Le CSPC accorde 14 jours au gouvernement pour y donner suite à compter du 22 avril 2021.
Les plants et semences constituent les éléments clés des systèmes de production agricole. Dans les grands pays industrialisés comme les Etats-Unis, ces éléments relèvent de la sécurité nationale. Sans semences et plants de qualité, le leadership agricole du Cameroun, dans certaines filières, sera compromis. A l’arrivée, des centaines de milliers d’acteurs du monde agricole, déjà fragilisés par la crise de Covid-19, pourraient se retrouver sur la paille.
La difficulté d’apprécier le volume et la nature des besoins réels du monde paysan, le faible pouvoir d’achat des producteurs camerounais, ainsi que l’adaptation relative de certaines variétés proposées par la recherche, constituent déjà des points de crispation dans le secteur. Les tensions qui en découlent peuvent s’avérer explosives. Or l’Etat du Cameroun ne peut se permettre une autre crise, en ce moment, avec les pivots du monde agricole.
Sur le terrain de la concurrence, la pénétration du marché des plants et semences à haut rendement par les multinationales, dopée par le droit de la propriété intellectuelle et les différentes règlementations y relatives, concourt à une privatisation progressive du vivant. Si l’Etat du Cameroun veut éviter la dépendance des agriculteurs au secteur semencier étranger, il va devoir muscler les mécanismes de soutien à ceux qui lui réclament déjà des arriérés…
Malgré leur solidarité, les grévistes du CSPC doivent intégrer qu’il n’y aura pas de solution commune à tous pour l’exercice 2021. Sauf par extraordinaire. Si les 3 milliards réclamés au Fonds de développement des filières cacao et café (FODECC) sont bien dans les comptes de l’institution, il en va différemment pour les autres filières. D’où la nécessité, pour l’Etat, d’harmoniser les dispositifs existants, de clarifier les modalités d’accès et d’en assurer la régularité.
Au total, la volonté manifestée par les pouvoirs publics à travers la batterie d’aides aux semenciers, pépiniéristes et producteurs doit être regardée comme un investissement stratégique. Un Guichet unique du monde agricole camerounais (GUMAC), fonctionnant comme le bras financier de l’Etat pour l’agriculture ; serait l’instrument idéal en termes d’égalité, d’uniformité, de lisibilité, d’accountabilty, d’agilité et de qualité du service aux usagers.
Mieux qu’aucun dispositif actuel, un Guichet Unique pourrait permettre de protéger le marché domestique, d’accroître la compétitivité de l’agriculture locale et de contribuer au bien-être des acteurs du monde agricole.
* Guy Gweth est conseil en économique et directeur du programme « Doing Business in Africa » à CentraleSupelec (France). Il est le représentant légal de la Fédération des PME allemandes (BVMW) au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo.