Créée il y a plus d’un an, l’association RAARE a mis en maraîchage des terrains récupérés dans les alentours d’Angers. Autour de ces cultures, tout un réseau d’entraide s’est développé ; ses activités se sont décuplées depuis le confinement.
On butte jusqu’où ? J’ai jamais butté des patates… Ce jour-là, dans la ferme du Petit Faiteau à quelque 20 minutes d’Angers, dans le Maine-et-Loire, Theo interroge le plus expérimenté du groupe. Les feuilles de la rangée de pommes de terre sont sorties, il s’agit de les recouvrir. Il passera ensuite avec l’arrosoir – ici tout se fait à la main – puis il y remettra le paillage laissé de côté, afin de conserver l’humidité.
Comme Theo, ils sont plusieurs à avoir découvert, l’an dernier, le travail de la terre. Au sein du RAARE (Ravitaillement alimentaire autonome et réseau d’entraide), qui cultive trois terrains autour d’Angers mis à sa disposition par des particuliers, ils ont appris à préparer des semis, entretenir un jardin potager, récolter des légumes. À reprendre la main sur leur quotidien – sur leur avenir aussi.
« J’étais sensible à la question de l’accès au logement, raconte Theo. Avec le RAARE, j’ai découvert la question de l’autonomie sur le plan alimentaire. Cela m’a tout de suite plu de faire quelque chose de concret. Cela m’a aussi apporté beaucoup d’assurance pour l’avenir. Car nous sommes en train de nous réapproprier des choses essentielles : l’idée est de faire par nous-mêmes, sans avoir à acheter ou à taper à la porte d’un professionnel. Le confinement nous a mis dans une situation de dépendance vis-à-vis d’un gouvernement qui faisait n’importe quoi. Il faut sortir de cela. »
Theo a arrêté ses études aux Beaux-Arts, il pense que l’on peut s’affranchir du salariat, et vit en ce moment au squat de la Grande Ourse à Angers, vivier de luttes, de collectifs, de grande mixité et de longues discussions. Autour de lui, une dizaine de membres de l’association s’activent sur le terrain. Ici deux jeunes femmes égourmandent les plants de tomates (technique qui consiste à couper les petites tiges latérales afin que la plante pousse vers le haut), une autre met en terre des pousses de cornichons, un autre va vérifier l’état de la ruche… tandis qu’un petit groupe décortique les chardons-Marie pour en récupérer les graines, dont les vertus médicinales sont réputées pour le foie.
La plupart sont dans la vingtaine, n’attendent absolument rien du pouvoir politique, et sont résolument attachés à l’auto-organisation. Ici, pas de chef ni de hiérarchie. Simplement des référents par type de plantation « afin que les plus expérimentés ne portent pas toute la charge mentale ». Et un carnet de liaison qui reste sur place, permettant de suivre l’avancée des tâches d’une séance à l’autre, à raison de deux chantiers par semaine.
Car le travail à fournir est considérable. Le sol n’est pas facile dans le coin : c’est une terre limoneuse, entre sable et argile. Issue des anciens lits de rivière, elle sèche très vite. Une semaine sans pluie, comme cela s’est produit quelques fois ce printemps, peut la bétonner. Arrosage précis et paillage sont indispensables pour limiter l’érosion et conserver une terre cultivable.
Au total, ce printemps, plus d’une vingtaine d’espèces de légumes et au moins autant d’aromatiques ont été plantés sur 2 500 m². Pour éviter les nuisibles, et en l’absence de tout intrant chimique, certaines plantes ont été disposées en alternance. Les tomates, par exemple, sont intercalées avec des œillets d’Inde – une technique répandue dans les potagers pour chasser les nématodes, une variété de vers qui s’attaque aux racines.
D’où viennent les semences ? De dons principalement, de la part de paysans et amateurs de potager des environs, ou des stocks invendus de Germinance, entreprise de semences du Maine-et-Loire, tournée vers le local et la permaculture. « L’objectif est de ne pas dépenser d’argent pour pouvoir planter », précise Syl. Passé par un bac pro maintenance automobile, un début d’études de psycho et de l’humanitaire à Calais, ce référent « plantes aromatiques » explique ne plus pouvoir rester assis sur une chaise. « C’est en se mettant en action que l’on peut espérer résoudre les problèmes du monde. »
D’ici peu, oignons, ail et pommes de terre pourront être récoltés. En juillet, ce sera le tour des tomates, concombres, haricots… Tous ces légumes iront nourrir, pour la deuxième année consécutive, le circuit d’alimentation qui se développe autour du squat angevin de la Grande Ourse.
« Pour moi, c’est très important de faire le lien entre la ville et la campagne, explique Yann, très investi dans l’association depuis le début. Il y en a assez de la séparation entre les écolos de la campagne et les antifas et squatteurs de la ville. La situation est tellement difficile pour nous tous qu’on ne peut plus se spécialiser de cette façon, les deux mondes ne peuvent pas fonctionner l’un sans l’autre. »
Un peu plus tôt dans la journée, une partie du groupe était sur un autre champ, à Villemoisan, sur l’exploitation maraîchère de Samuel. Patiemment, il a désherbé à la main une longue bande de terre plantée de panais. Un travail qui aurait pris 4 heures au paysan s’il avait dû le faire tout seul. En échange ce dernier, le moment venu, laisse l’association récolter une bonne partie de ses carottes.
La période est propice aux échanges de ce type, pense Samuel, qui a vu ses ventes directes exploser pendant le confinement. « J’espère que ce moment a accéléré une prise de conscience chez les gens, dit-il. Mais il est encore tôt pour s’en rendre compte, on verra mieux dans six mois ou un an. »
En même temps qu’il retire les herbes adventices, Pascal, l’aîné de la troupe, raconte : après 35 ans travaillés comme mécanicien chez un grand équipementier automobile et un burn-out, il a découvert le RAARE et la Grande Ourse avec bonheur… et surprise. « Je pensais que ce genre de collectif n’existait plus. Cela m’a donné envie de faire des choses. Même si ce n’est pas toujours facile dans les discussions, voir des jeunes qui s’investissent pour les autres donne de l’espoir pour un changement. Dans les années à venir, nous allons avoir besoin de beaucoup de solidarité pour survivre, car en haut ils sont prêts à tout et n’ont pas l’intention de lâcher… »
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